La lignée – Nérée Beauchemin
Oh ! qui pourrait redire, en quels pieux symboles,
En quels accents de fête, en quels rythmes d’amour,
Le sens harmonieux de l’hymne sans paroles,
Qui, dans l’air réjoui, s’élève en un tel jour.
Il est si doux de suivre, au sentier de l’Ancêtre,
Le long cheminement d’un cortège d’aïeux :
Un invincible émoi nous trouble et nous pénètre,
Et des pleurs de tendresse éblouissent nos yeux.
Elle fut si féconde, en effet, l’alliance
De la douce Normande et du noble Saxon,
Idylle, où les pipeaux d’Angleterre et de France,
Ont soupiré leur plainte en un grave unisson.
Deux siècles ont vu naître et renaître l’aurore
Sur la colline où gît l’heureux couple d’antan,
Et les fleurs de mémoire y frémissent encore
Comme sur les tombeaux d’Yseult et de Tristan.
L’anniversaire passe et revient. La famille
Célèbre les printemps de ce passé lointain,
Et le père à son fils, et la mère à sa fille,
De Claude et Catherine, évoquent le destin.
L’humble postérité de la race qui sème,
Malgré le sort, malgré les temps et leur rigueur,
Au levant, au couchant, au sud, au nord, essaime,
Affirmant au soleil sa native vigueur.
Du château des Farnsworth, la maison canadienne
N’a pas l’air orgueilleux ni le farouche aspect,
Mais ses pignons en pointe et sa lucarne ancienne,
À tous les mécréants, imposent le respect.
Le maître a chevronné le toit de pièces lourdes ;
Lui-même il enfonça les étançons du mur,
Lui-même il équarrit la poutre et les lambourdes,
En plein bois, dans le cèdre incorruptible et dur.
Il ne fut pas celui qui bâtit sur le sable ;
Il voulait, glorieux d’une juste fierté,
Que sa demeure fut l’asile inviolable
De son indépendance et de sa loyauté.
Le fronton du logis fut tourné vers l’église,
Afin que les enfants n’eussent qu’à se pencher
À la vitre où l’azur du ciel se cristallise,
Pour mieux voir, en priant, reluire le clocher.
Au vœu du bâtisseur hardi, la maisonnée
Fidèle au Roy, fidèle à Dieu, n’a pas menti.
Les nœuds les plus sacrés attachent la lignée
Au berceau d’où l’esprit paternel est sorti.
Aujourd’hui, dans la paix de l’antique vallée,
Nous venons, pèlerins d’un culte filial,
Sous l’égide du prêtre, à la même tablée,
Communier, au même autel familial.
Des hauteurs où coula le flot du baptistère,
Jusqu’aux champs dont la gerbe est offerte au Seigneur,
Nous arrivent des voix qui ne veulent se taire,
Et les morts, de plus près, nous parlent de bonheur.
Est-ce un rêve ?… Dans quelle aube surnaturelle,
Dans quel prestigieux demi-jour a brillé
Je ne sais quelle image idéalement belle ?
Miracle ! N’est-ce pas l’ange du jubilé ?
N’est-ce pas un esprit, une âme revenante,
Qui s’avance invisible, et vole autour de nous ?
Ô blanche vision d’une immortelle absente,
Tu fais courber nos fronts et fléchir nos genoux.
Ô chère ombre, un instant, soulève ton long voile ;
Une femme, une mère auguste, nous sourit ;
L’opale de la bague, au cercle d’or, étoile
Le bouquet nuptial qui dans sa main fleurit.
Protectrice des tiens, Mère, je te salue !
Patronne de douceur, de grâce et de beauté,
Fais descendre sur nous, âme sainte, âme élue,
Les bénédictions de ton éternité !