La juive – Gertrud Kolmar
Je suis étrangère.
Parce que les humains ne se risquent pas jusqu’à moi,
Je veux être ceinte de tours,
Qui portent des casquettes escarpées, gris pierre,
Jusque dans les nuages.
Vous ne trouverez pas la clef de bronze
De l’escalier sourd. Il monte en spirale,
Comme, tête plate écailleuse levée,
Une couleuvre, vers la lumière.
Hélas, ce mur se fissure déjà comme des falaises
Qu’un courant millénaire affouille ;
Les oiseaux aux rugueux cous plissés
Sont perchés, blottis dans des cavités.
Dans les voûtes ruissellement de sable,
Sauriens tapis aux poitrines tachetées –
Je voudrais équiper un voyage exploratoire
Dans mon propre pays ancestral.
Peut-être pourrai-je encore découvrir
Quelque part l’Our enfoui des Chaldéens,
L’idole Dagon, la tente des Hébreux,
La trompette de Jéricho.
Celle qui volatilisa ces parois narquoises
Noircit dans les profondeurs, ravagée, distordue ;
Jadis pourtant j’ai aspiré le souffle
Qui émettait ses tons.
Et dans des coffres, recouverts de poussière,
Gisent morts les vêtements nobles,
Éclat mourant chu de l’aile de la colombe
Et l’hébété de Béhémoth.
Je me vêts de manière étonnante. Je suis certes petite,
Loin de leurs temps somptueusement puissants,
Mais autour de moi se hérissent les ampleurs chatoyantes
Comme une carapace, je croîs et m’y encastre.
Je me vois maintenant étrange et ne peux me connaître,
Alors que j’étais déjà avant Rome, avant Carthage,
Alors que soudain s’enflamment pour moi les autels
De la justicière et de sa cohorte.
Du vaisseau d’or caché coule
À travers mon sang une luisance douloureuse,
Et une chanson veut me désigner par des noms
Qui me soient à nouveau appropriés.
Des ciels appellent par des signes colorés.
Celé est votre visage :
Ceux qui rôdent timides autour de moi tel le fennec
Ne le voient pas.
Des colonnes de vent qui gigantesquement s’effondrent soufflent,
Vertes comme néphrite, rouges comme coraux,
Au-dessus des tours. Dieu les laisse s’écrouler
Et rester encore debout pour des millénaires.