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Junky – William S. Burroughs

Junky – William S. Burroughs

(Extrait)

I

Ma première expérience de la drogue remonte à la guerre, vers 1944 ou 1945. J’avais fait la connaissance d’un type nommé Norton, qui travaillait dans un chantier naval à cette époque. Norton – dont le vrai nom était Morelli ou quelque chose d’approchant – avait été congédié de l’armée avant la guerre à cause d’un faux chèque et jugé indésirable en raison de son sale caractère. Il ressemblait à George Raft, en plus grand. Norton essayait d’améliorer son anglais et d’acquérir des manières affables. Toutefois, l’affabilité ne lui était pas naturelle. Quand il ne se surveillait pas, son expression était méchante et maussade et l’on pouvait être sûr qu’il reprenait son air mauvais dès qu’on lui tournait le dos.

Norton était un voleur toujours aux aguets et il ne se sentait bien que s’il volait tous les jours quelque chose sur son chantier naval : un outil, quelques boîtes de conserve, une salopette, n’importe quoi. Un jour, il m’appela pour me dire qu’il avait volé une mitraillette. Pouvais-je trouver un acheteur ? Je lui dis : « Peut-être. Amène-la. »

C’était le début de la crise du logement. Je louais pour quinze dollars par semaine un appartement crasseux qui donnait sur une échelle de secours et ne recevait jamais le soleil. Le papier peint se décollait par endroits parce que le radiateur fuyait, les rares fois où il fonctionnait ; j’avais dû condamner les fenêtres en les calfeutrant avec du papier journal ; l’endroit grouillait de cafards et, de temps à autre, j’écrasais une punaise.

J’étais assis près du radiateur, un peu moite à cause des fuites de vapeur, lorsque j’entendis Norton frapper. J’ouvris la porte et le vis debout sur le palier sombre, un gros paquet enveloppé dans du papier kraft sous le bras. Il sourit et dit :

— Salut.

— Entre, Norton, dis-je ; et donne-moi ton manteau.

Il sortit la mitraillette ; nous la remontâmes et fîmes claquer le percuteur.

Je lui dis que je trouverais un acheteur.

Norton ajouta :

— Oh, j’ai aussi trouvé ça.

C’était une boîte plate, jaune, contenant cinq syrettes de 32 mg de tartrate de morphine.

— Ce n’est qu’un échantillon, dit-il en montrant la morphine. J’en ai quinze autres boîtes à la maison et je peux m’en procurer d’autres, si tu fourgues celle-ci.

— Je verrai ce que je peux faire, dis-je.

II

A cette époque, je n’avais jamais pris de came et il ne m’était pas venu à l’esprit d’y toucher. Je me mis en quête d’un acheteur pour les deux articles et c’est ainsi que je fis la connaissance de Roy et d’Herman.

Je connaissais un petit truand, natif du nord de l’État de New York, qui travaillait comme cuistot chez Riker’s, « histoire de se faire oublier », comme il l’expliquait. Je l’appelai pour lui dire que j’avais quelque chose à fourguer et lui donnai rendez-vous à l’Angle, un bar de la 8e Avenue près de la 42e Rue.

Ce bar était le quartier général des voyous de la 42e Rue, une bande de petits demi-sel. Ils étaient perpétuellement à la recherche d’un « cerveau » capable de monter des coups et de leur dire exactement ce qu’il fallait faire. Comme aucun « professionnel » n’aurait accepté de s’acoquiner avec des types aussi visiblement nuls et abonnés à la guigne, ils s’obstinaient à chercher, tout en racontant d’énormes bobards sur leurs gros coups, se faisant oublier en travaillant comme plongeurs, barmans ou serveurs, tabassant à l’occasion un ivrogne ou un pédé peureux, toujours à la recherche du « cerveau » sur une grosse affaire qui leur dirait un jour : « Je t’ai bien observé. Tu es le type dont j’ai besoin pour ce coup. Maintenant, écoute-moi… »

Jack – qui me présenta Roy et Herman – ne faisait pas partie de ces brebis égarées à la recherche d’un berger portant diamant au doigt, pistolet sous l’aisselle, à la voix dure et ferme, parlant de combines et de grosses affaires, et faisant passer un vol à main armée pour une opération facile et sûre. Cela marchait quelquefois très bien pour Jack, qui arrivait alors vêtu de neuf ou même avec une nouvelle voiture. C’était aussi un menteur invétéré, qui paraissait mentir davantage pour son plaisir personnel que pour un public quelconque. Il avait des traits bien dessinés, un visage sain de campagnard avec cependant quelque chose de curieusement maladif. Il était sujet à de brusques variations de poids, comme un diabétique ou un hépatique. Ces variations de poids étaient souvent accompagnées d’une bougeotte incontrôlable, qui le faisait disparaître pendant quelques jours.

Cela causait une étrange impression. On le voyait, un jour, l’air juvénile et le teint frais. La semaine suivante, il était si maigre, tout jaune et vieilli, qu’il fallait le regarder à deux fois avant de le reconnaître. Son visage était devenu un masque de souffrance que seuls les yeux démentaient. Ses cellules étaient les seules à souffrir. Lui-même – le moi conscient qui veillait dans ces yeux glacés, vigilants et calmes de voyou – ne voulait rien savoir de la souffrance de son autre moi qu’il rejetait, souffrance du système nerveux, de la chair, des viscères et des cellules.

Il se glissa dans le box où j’étais assis et commanda un whisky. Il l’avala d’un trait, reposa son verre et me considéra, la tête légèrement inclinée.

— Qu’a-t-il à fourguer, ce type ? dit-il.

— Une mitraillette et environ trente-cinq grains de morphine.

— La morphine, je peux l’écouler tout de suite, mais pour ce qui est de la mitraillette, cela risque de prendre un peu plus de temps.

Deux inspecteurs entrèrent et s’accoudèrent au comptoir pour parler au barman.

Jack fit un signe de tête dans leur direction :

— Les flics. Allons faire un tour.

Je le suivis hors du bar. Il passa la porte en détournant la tête.

— Je t’emmène chez quelqu’un qui prendra la morphine, dit-il. Je te conseille d’oublier cette adresse.

Nous descendîmes dans le métro. La voix de Jack, parlant à son public invisible, ronronnait. Il avait le chic pour projeter sa voix directement dans votre conscience. Aucun autre bruit extérieur ne pouvait accaparer votre attention. « Tu me mets un . 38 dans les mains quand tu veux. Relève seulement le chien et c’est parti. Je peux descendre n’importe qui à 150 mètres. Me fous pas mal de ce que tu pourras dire. Mon frère a deux mitraillettes de calibre . 30 planquées dans l’Iowa. »

Nous sortîmes du métro et suivîmes un trottoir couvert de neige entre deux rangées d’immeubles.

— Le type me devait de l’argent depuis longtemps, tu vois ? Je savais qu’il pouvait me rembourser, mais il ne voulait pas ; alors je l’ai attendu à la sortie de son travail. J’avais un rouleau de pièces. Personne ne peut t’arrêter parce que tu trimbales de la monnaie sur toi. M’a dit qu’il était fauché. Je lui ai brisé la mâchoire et je lui ai repris mon oseille. Deux de ses copains étaient là, mais ils sont restés en dehors du coup. Sinon j’aurais sorti mon couteau.

Nous montions l’escalier d’un immeuble. Les marches étaient en métal noir, usé. Nous nous arrêtâmes devant une étroite porte métallique et Jack frappa suivant un code, la tête penchée en avant comme un perceur de coffre-fort. La porte fut ouverte par un pédé entre deux âges, gras et flasque, dont les avant-bras et même le dos des mains étaient tatoués.

— Ça, c’est Joey, dit Jack.

Joey dit :

— Salut.

Jack tira un billet de cinq dollars de sa poche et le tendit à Joey.

— Sois gentil, Joey, va nous chercher une bouteille de Schenley’s.

Joey enfila un pardessus et sortit.

Dans beaucoup d’appartements pauvres, la porte d’entrée ouvre directement sur la cuisine. C’était le cas de celui-ci et nous nous trouvions dans la cuisine.

Après le départ de Joey, je remarquai un autre type qui me dévisageait. Ses grands yeux marron envoyaient des ondes d’hostilité et de méfiance, un peu comme une émission de télévision. Cela produisait un choc quasi physique. Le type était petit et très maigre et son cou semblait perdu dans son col de chemise. Son teint allait du brun au jaune marbré, et une épaisse couche de fond de teint ne parvenait pas à masquer son éruption de boutons. Sa bouche tombait aux coins en une grimace de susceptibilité contrariée.

— Qui est-ce ? dit-il.

Son nom, je l’appris plus tard, était Herman.

— Un ami à moi. Il a de la morphine à écouler.

— Je ne crois pas que cela m’intéresse, dit Herman en haussant les épaules et en faisant un geste de la main.

— Okay, dit Jack, nous la vendrons à quelqu’un d’autre. Allez, viens, Bill.

Nous passâmes dans la pièce principale. Il y avait un petit poste de radio, un bouddha de porcelaine avec une bougie votive devant, du bric-à-brac. Un homme était étendu sur un canapé. Il s’assit lorsque nous entrâmes dans la pièce et nous dit bonjour en souriant aimablement, montrant des dents brunâtres et tachées. Il avait une voix traînante, comme les gens du Sud, et l’accent de l’est du Texas.

— Roy, je te présente un de mes amis. Il a de la morphine à vendre, dit Jack.

Le type se redressa et posa ses pieds sur le parquet. Sa mâchoire pendait mollement, donnant à son visage un air absent. Sa peau était lisse et brune. De hautes pommettes lui donnaient un air oriental. Il avait les oreilles plantées à angle droit de son crâne asymétrique. Ses yeux marron brillaient d’un éclat particulier, comme s’ils reflétaient des points lumineux que la lumière de la pièce faisait scintiller, comme une opale.

— Combien en avez-vous ? me demanda-t-il.

— Soixante-quinze syrettes d’un demi-grain.

— Le prix normal est de deux dollars le grain, dit-il, mais les syrettes valent un peu moins. Les gens préfèrent les comprimés. Il y a trop d’eau dans les syrettes : il faut les vider et concentrer le contenu.

Il fit une pause et son visage devint inexpressif.

— Je pourrais aller jusqu’à un dollar cinquante le grain, reprit-il au bout d’un moment.
— Je pense que ça ira, lui dis-je.

Il me demanda où il pouvait me joindre et je lui donnai mon numéro de téléphone.

Joey revint avec le whisky et nous bûmes tous un verre. Herman passa la tête par la porte de la cuisine et dit à Jack :
— Est-ce que je pourrais te parler une minute ?

Je les entendis discuter. Puis Jack revint et Herman resta dans la cuisine. Nous bûmes encore un verre. Puis Jack repartit dans une de ses histoires :

— Mon associé était en train de fouiller l’appartement. Le type dormait et je me tenais au-dessus de lui avec un morceau de tuyau d’un mètre de long que j’avais déniché dans la salle de bains. Il y avait un robinet à un bout du tuyau. Tout d’un coup, le type se réveille, saute à bas du lit et se met à courir. Je lui file un coup avec le robinet et il continue à courir jusque dans la pièce d’à côté avec son sang qui giclait à trois mètres au-dessus de son crâne chaque fois que son cœur battait. (Il fit le geste de pomper.) On voyait sa cervelle et le sang qui en sortait.

Jack éclata d’un rire hystérique.

— Ma nana attendait dans la voiture. Elle m’a traité – ha ! ha ! ha ! – elle m’a traité – ha ! ha ! ha ! – de tueur sadique.

Il riait tellement qu’il en devint violet.

III

Quelques jours après avoir fait la connaissance de Roy et d’Herman, j’utilisai une syrette et je fis ma première expérience de la came. Une syrette ressemble à un tube de dentifrice muni d’une aiguille. On enfonce une épingle dans l’aiguille ; l’épingle perfore le sceau d’étanchéité et la syrette est prête à l’emploi. La morphine affecte d’abord la face postérieure des jambes, puis la nuque en une onde décontractante qui gagne tout le corps, relâchant les muscles, si bien que vous avez l’impression de flotter sans contours comme dans de l’eau chaude salée. À mesure que cette onde décontractante se répandait dans mes tissus musculaires, j’éprouvais un sentiment de frayeur de plus en plus intense. Il me semblait qu’une vision effrayante se trouvait juste au-delà de mon champ visuel, se déplaçant quand je tournais la tête, de sorte que je ne la voyais jamais tout à fait. J’eus la nausée ; je m’allongeai et fermai les yeux. Une série d’images se succédaient comme dans un film : un immense bar éclairé au néon qui grandissait, grandissait jusqu’à englober les rues, la circulation, les travaux de voirie ; une serveuse portant un crâne sur un plateau ; des étoiles dans le ciel clair. Le choc physique de la peur de mourir. L’arrêt de la respiration, de la circulation du sang.
Je m’assoupis, puis m’éveillai dans un sursaut de frayeur. Le lendemain matin je vomis et me sentis nauséeux jusqu’à midi.
Ce soir-là, Roy me téléphona.

— Pour revenir à notre conversation de l’autre soir, dit-il, je pourrais aller jusqu’à quatre dollars la boîte et en prendre cinq tout de suite. Êtes-vous occupé ? Je passe chez vous. Nous parviendrons à nous arranger d’une manière ou d’une autre.

Quelques minutes plus tard, il frappa. Il portait un costume à carreaux et une chemise café au lait. Nous nous saluâmes. Il regarda autour de lui d’un air hagard et dit :

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais en prendre une tout de suite.

J’ouvris la boîte. Il prit une syrette et se l’injecta dans la cuisse. Il se reculotta prestement et sortit vingt dollars. Je mis cinq boîtes sur la table de la cuisine.

— Je crois que je vais les sortir des boîtes, dit-il. Pas très discret.

Il enfouit les syrettes dans les poches de sa veste.

— Je crois que comme ça elles ne risquent rien. Écoutez, je vous rappelle d’ici un jour ou deux, dès que j’aurai écoulé celles-ci et que je serai de nouveau en fonds. (Il posa son chapeau sur son crâne asymétrique.) À bientôt.

Il revint le lendemain. Il s’injecta une autre syrette et sortit quarante dollars. J’allai chercher dix boîtes et en gardai deux.
— Celles-ci sont pour moi, dis-je.

Il me regarda, surpris.

— Vous en prenez ?

— De temps à autre.

— C’est moche, dit-il en hochant la tête. La pire déchéance pour un type. Au début, tout le monde croit être capable de se contrôler. Quelquefois, on n’a même pas envie de se contrôler. (Il rit.) J’achète tout ce que vous pourrez avoir à ce prix-là.

Le lendemain, il vint de nouveau chez moi. Il me demanda si je n’avais pas changé d’avis et si je ne voulais pas lui vendre les deux boîtes. Je refusai. Il s’acheta deux syrettes à un dollar pièce, s’injecta les deux et sortit, après avoir déclaré qu’il partait en voyage pour deux mois.

IV

Au cours du mois suivant, j’utilisai les huit syrettes que j’avais refusé de vendre. L’angoisse que j’avais ressentie la première fois disparut dès la troisième. Mais il m’arrivait encore de me réveiller dans un sursaut de peur après m’être piqué. Environ six semaines plus tard, je téléphonai à Roy, ne m’attendant pas à ce qu’il fût de retour, mais j’entendis sa voix au bout du fil.
Je lui dis :

— En as-tu encore à vendre ? De ce que je t’avais vendu ?

Il y eut un silence.

— Ou-oui, dit-il, je peux t’en refiler six, mais elles te coûteront trois dollars pièce. Tu comprends, je n’en ai pas beaucoup.

— C’est d’accord, lui dis-je. Tu connais le chemin. Apporte-les-moi.

Il m’apporta douze comprimés d’un demi-grain dans un mince tube de verre. Je lui réglai dix-huit dollars et il s’excusa de nouveau pour le tarif de détail.

Le lendemain, il me racheta l’équivalent de deux grains.

— C’est rudement difficile à se procurer, quel que soit le prix qu’on y mette, en ce moment, dit-il tout en cherchant une veine sur sa jambe.

Finalement, il en trouva une et injecta le liquide en même temps qu’une bulle d’air.

— Si les bulles d’air tuaient, il n’y aurait plus un camé vivant.

Plus tard, ce même jour, Roy me montra une pharmacie où l’on vendait des aiguilles hypodermiques sans poser de questions. Très peu en vendent sans ordonnance. Puis il m’apprit à confectionner un collier de papier pour adapter l’aiguille sur un compte-gouttes. Ceux-ci sont plus faciles à utiliser qu’une seringue normale, surtout pour les intraveineuses.

Quelques jours plus tard, Roy m’envoya voir un médecin avec une fable au sujet de calculs rénaux, afin d’obtenir une ordonnance de morphine. La femme du médecin me claqua la porte au nez, mais Roy parvint à forcer le barrage et obtint une ordonnance pour dix grains.

Le cabinet du médecin était situé en territoire came, dans la 102e Rue près de Broadway. Le médecin était un vieux gâteux incapable de se débarrasser des camés qui emplissaient son cabinet et qui, en fait, étaient ses seuls clients. On aurait dit que la vision de sa salle d’attente pleine lui donnait un sentiment d’importance. Il avait sans doute atteint le stade où il pouvait transformer l’apparence des choses au gré de ses rêves, et quand il jetait un coup d’œil dans son salon, il devait y voir une clientèle distinguée et variée, sans doute bien habillée à la mode de 1910, au lieu d’un ramassis de camés renfrognés venus lui extorquer une ordonnance de morphine.

Roy partait en voyage toutes les deux ou trois semaines. Ses voyages, qui consistaient en transports pour l’armée, étaient généralement courts. Lorsqu’il était en ville, nous nous partagions le plus souvent quelques ordonnances. Le vieux toubib de la 102e Rue finit par perdre la boule et aucune pharmacie n’accepta plus de servir ses ordonnances, mais Roy découvrit dans le Bronx un médecin italien qui voulait bien faire des prescriptions bidon.

Je me piquais de temps à autre, mais j’étais encore loin d’être vraiment intoxiqué. Vers cette époque, j’emménageai dans un appartement du Lower East Side. C’était un logement modeste dont la porte d’entrée donnait sur la cuisine.

V

Je me mis à fréquenter assidûment l’Angle et vis Herman très souvent. Je parvins à corriger la mauvaise impression que je lui avais faite d’abord. Bientôt, je lui payai des verres et des repas et il me tapait régulièrement de quelques pièces de monnaie.

erman non plus n’était pas intoxiqué à ce moment-là. En fait, il se droguait rarement, sauf si quelqu’un d’autre payait la came. Mais il était toujours défoncé à quelque chose : herbe, benzédrine ou barbituriques, qui le rendaient à moitié dingue. Il venait à l’Angle tous les soirs, accompagné d’un gros mollasson de Polonais nommé Whitey. Il y avait quatre Whitey à l’Angle, ce qui entraînait une certaine confusion. Ce Whitey-là alliait la sensiblerie d’un névrosé à la violence d’un psychopathe. Il était convaincu que personne ne l’aimait, et cela paraissait le perturber terriblement.

Un mardi soir, Roy et moi étions installés au bout du comptoir de l’Angle. « Métro » Mike était là, ainsi que Frankie Dolan. Dolan était un jeune Irlandais affligé d’un léger strabisme. Il était spécialiste des coups minables comme, par exemple, casser la figure à des pochards sans défense ou refuser de payer ses complices. « J’ai pas d’honneur, disait-il. Je suis un vrai salopard. » Et il riait bêtement.

« Métro » Mike avait le visage large et blafard et de longues dents. Il ressemblait à quelque animal des profondeurs prêt à fondre sur les animaux de surface. Son boulot était de dévaliser les gens ivres dans le métro, et il y excellait ; mais il avait vraiment trop l’air d’un voyou. N’importe quel flic l’eût regardé plutôt deux fois qu’une et il était bien connu de la police du métro. C’est ainsi que Mike passait la moitié de sa vie en taule, à purger ses cinq mois et vingt-neuf jours.

Ce soir-là, Herman était bourré au nembutal et sa tête retombait sans cesse sur sa poitrine. Whitey battait la semelle le long du comptoir en essayant de se faire offrir des pots. Les gars assis au bar étaient sur la défensive, ne lâchant pas leur verre, empochant vivement leur monnaie. J’entendis Whitey dire au barman : « Garde-moi ça, veux-tu ? », et il lui tendit son gros couteau à cran d’arrêt. Les gars demeuraient silencieux et sombres sous les néons. Tout le monde craignait Whitey, tous sauf Roy. Roy buvait sa bière à petites gorgées, l’air mauvais. Ses yeux brillaient de leur curieuse phosphorescence. Son long corps asymétrique était appuyé au comptoir. Il ne regardait pas Whitey mais le mur opposé, où s’alignaient les boxes. À un moment, il me dit :
— Il n’est pas plus rond que moi ; il a seulement soif.

Whitey se tenait au milieu du bar, les poings serrés, le visage inondé de larmes. « Je suis un minable, répétait-il, je suis un minable. Est-ce que personne ne peut comprendre que je ne sais plus ce que je fais ? »

Les types s’efforçaient de s’écarter le plus possible de lui sans attirer son attention.

« Métro » Slim, le compère occasionnel de Mike, entra et commanda une bière. Il était grand et osseux et sa figure ingrate avait l’air curieusement inanimée, comme taillée dans le bois. Whitey lui assena une claque dans le dos et j’entendis Slim s’écrier : « Bon Dieu, Whitey ! » Je n’entendis pas le reste de leur conversation. Whitey avait dû récupérer son couteau à un moment quelconque. Il s’avança derrière Slim et, subitement, appuya sa main sur son dos. Slim s’affala sur le comptoir en gémissant. Je vis Whitey se diriger vers la porte du bar et regarder autour de lui. Il referma son couteau et le glissa dans sa poche.
Roy me dit :

— Taillons-nous.

Whitey avait disparu et le bar s’était vidé à l’exception de Mike, qui soutenait Slim d’un côté, et de Frankie Dolan, qui le tenait de l’autre.

Le lendemain, Frankie me dit que Slim s’en tirerait. « Le toubib a dit que la lame était passée à un poil d’un rein. »
Roy dit :

— Quelle larve ! Une vraie terreur, ça va, mais pas un type comme lui qui fauche la monnaie sur le comptoir. Je l’attendais. Je lui aurais d’abord foutu un coup de pied dans le bide, ensuite j’aurais attrapé une bouteille de bière dans la caisse par terre et je la lui aurais cassée sur la caboche. Avec un salaud de cette espèce, il faut de la stratégie.

Personne ne put retourner à l’Angle, qui changea de nom peu après ; il devint le Roxy Grill.

VI

Un jour j’allai à Henry Street pour voir Jack. Une grande rousse m’ouvrit la porte.

— Je m’appelle Mary, dit-elle. Entrez.

Elle me dit que Jack était à Washington pour affaires.

— Venez dans le living, me dit-elle en écartant un rideau de velours rouge. Je reçois le propriétaire et les fournisseurs dans la cuisine, mais c’est dans cette pièce que nous vivons.

Je remarquai qu’il n’y avait plus de bric-à-brac. La pièce ressemblait à un restaurant chinois. Des tables laquées noir et rouge étaient disposées çà et là et des rideaux noirs voilaient la fenêtre. On avait peint au plafond une roue faite de petits carrés et de triangles de différentes couleurs créant une impression de mosaïque.

— C’est Jack qui a fait ça, dit-elle en montrant la roue. Vous auriez dû voir ça. Il avait posé une planche entre deux échelles et était couché dessus. La peinture lui coulait sur la figure. Il adore faire des trucs comme ça. On se prend des pieds fabuleux avec cette roue quand nous sommes défoncés. On s’allonge sur le dos en regardant la roue, et elle se met à tourner. Plus on la regarde, plus elle tourne vite.

Cette roue avait l’insoutenable vulgarité des mosaïques aztèques, cauchemar trivial, cœur qui tressaille dans le soleil matinal, bleus et roses criards des cendriers-souvenir, des cartes postales et des chromos. Les murs étaient noirs et un caractère chinois était peint en laque rouge sur l’un deux.

— Nous ne savons pas ce qu’il veut dire, dit-elle.

Je lui suggérai :

— Chemises en solde.

Elle me gratifia de son sourire froid et vide. Puis elle se mit à parler de Jack.

— Je suis folle de Jack. Il est voleur comme certains font d’autres métiers. Il revient au milieu de la nuit et me tend son pistolet. « Planque ça ! » Il aime bien bricoler dans la maison, peindre, faire des meubles.

En parlant, elle allait et venait dans la pièce, se laissant tomber sur une chaise, puis sur une autre, croisant et décroisant les jambes, tirant sa combinaison pour me donner divers aperçus de son anatomie.

Elle me raconta qu’elle était atteinte d’une maladie extrêmement rare et que ses jours étaient comptés.

— Il y a en tout vingt-six cas comme le mien. Dans quelques années, je serai impotente. Mon corps est incapable d’assimiler le calcium et mes os se dissolvent lentement. Il faudra d’abord m’amputer des jambes, puis des bras.

Elle avait quelque chose d’invertébré, comme les habitants des grands fonds marins. Ses yeux étaient froids comme des yeux de poisson et vous regardaient à travers un liquide visqueux. J’imaginais ces yeux dans une masse protoplasmique informe ondulant au-dessus de sombres fosses marines.

— La benzédrine, c’est ce qui me botte, dit-elle. Trois feuilles ou dix comprimés. Ou encore deux feuilles et deux capsules de nembutal. Tout ça se bagarre dans l’estomac. Ça vous envoie en l’air illico.

Trois jeunes truands de Brooklyn entrèrent, le visage fermé, les mains dans les poches, très stylés. Ils cherchaient Jack qui les avait possédés dans quelque affaire. Du moins, c’est ce que je compris. Ils s’exprimaient moins par des mots que par des mouvements de tête expressifs, ainsi qu’en allant et venant dans l’appartement et en s’adossant aux murs. Au bout d’un moment, l’un d’eux marcha vers la porte et fit un signe. Ils sortirent l’un derrière l’autre.

— Tu veux fumer ? demanda Mary. Il doit y avoir un cafard ici, quelque part.

Elle explora les tiroirs et les cendriers.

— Non, je ne trouve rien. Pourquoi n’irions-nous pas en ville ? Je connais plusieurs fournisseurs que nous pouvons sans doute joindre.

Un jeune homme, un paquet enveloppé de papier kraft sous le bras, entra en titubant.

— Jette ça en sortant, dit-il en posant le paquet sur la table.

Il disparut, toujours titubant, dans la pièce à l’autre bout de la cuisine. En sortant, je me débarrassai du paquet dans lequel se trouvait une boîte à sous de w.-c. payant, qu’il avait purement et simplement éventrée.

À Times Square, nous prîmes un taxi. Nous patrouillâmes dans les petites rues, suivant les indications de Mary. De temps à autre, elle criait : « Stop ! » et sautait du taxi. Ses cheveux roux flottaient au vent et je la regardais aborder des types et leur parler. « Le fourgueur était là il y a dix minutes à peine. Ce type en a, mais il ne veut pas en céder. » Plus tard : « Le fourgueur habituel est parti jusqu’à demain. Il vit dans le Bronx. Mais reste là une minute, je peux peut-être trouver quelqu’un au Kellogg’s. » Finalement, elle me dit :

— Personne n’a l’air d’en avoir. Il est un peu tard pour s’en procurer. Achetons de la benzédrine et allons au Ronnie’s. Il y a des morceaux extra au juke-box ; on pourra boire du café et s’envoyer en l’air avec la benzédrine.

Le Ronnie’s était une boîte située près de la 52e Rue et de la 6e Avenue, où les musiciens venaient manger du poulet frit et boire du café après une heure du matin. Nous nous assîmes dans un box et commandâmes du café. Mary ouvrit un tube de benzédrine d’une main experte et en retira le papier. Elle m’en donna trois feuilles : « Fais-en une boule et avale-la avec du café. » Le papier dégageait une odeur écœurante de menthol. Plusieurs personnes assises près de nous reniflèrent et sourirent. Je faillis m’étrangler avec la boulette, mais réussis enfin à la faire passer. Mary choisit quelques-uns de ses morceaux extra et se mit à tambouriner sur la table avec l’expression d’un idiot en train de se masturber.

Je me mis à parler à toute vitesse. J’avais la bouche sèche et ma salive sortait sous forme de petites boulettes blanches – cracher du coton, dit-on. Nous nous baladâmes dans Times Square. Mary cherchait quelqu’un qui aurait un électrophone. Je me sentais plein d’une bienveillance expansive, et soudain j’eus envie de revoir des gens que je n’avais pas rencontrés depuis des mois, voire des années, des gens que je n’aimais pas et qui ne n’aimaient pas non plus. Après un certain nombre de vaines tentatives pour dénicher l’hôte possédant un électrophone, nous rencontrâmes Peter et décidâmes de retourner à l’appartement d’Henry Street, où il y avait au moins une radio.

Peter, Mary et moi passâmes les trente heures suivantes sans bouger de l’appartement. De temps à autre, nous faisions du café et reprenions de la benzédrine. Mary décrivait la tactique qu’elle employait pour faire cracher les « michetons » qui étaient sa principale source de revenus.

— Faut toujours flatter le micheton. S’il est un peu costaud, tu lui dis : « Je t’en prie, ne me fais pas mal. » Le micheton n’a rien à voir avec le connard d’occasion. Avec ceux-là, il faut toujours se méfier. Tu lui donnes rien et tu lui prends le maximum. Un micheton, c’est différent. Tu lui en donnes pour son argent. Quand tu es avec lui, t’en profites pour te marrer et tu veux qu’il s’amuse aussi.

« Si tu veux vraiment humilier un type, tu allumes une cigarette pendant qu’il te baise. En fait, il est bien évident que je n’aime pas du tout les hommes, sexuellement parlant. Ce qui me botte vraiment, c’est les nanas. Ce qui me botte, c’est de démolir les filles trop sûres d’elles en leur démontrant qu’elles ne sont finalement que des bêtes. Une fille n’est plus jamais belle quand on l’a démolie. Eh dites, voilà un pied du genre coin de cheminée ! dit-elle en regardant la radio dont la seule lumière éclairait la pièce.
Ses traits se tordirent en une expression de rage simiesque lorsqu’elle parla des hommes qui l’accostaient dans la rue.

— Les fils de putes ! grogna-t-elle. Ils le savent bien quand une femme ne tapine pas. Autrefois, je me baladais avec un coup de poing américain sous mes gants en attendant que ces ploucs m’abordent.

VII

Un jour, Herman me parla d’un kilo d’herbe de première qualité en provenance de La Nouvelle-Orléans et que je pouvais avoir pour soixante-dix dollars. A priori, le trafic de la marijuana paraît aussi rentable que l’élevage des visons ou des grenouilles. À soixante-quinze cents le stick et soixante-dix sticks par trente grammes, ça promettait de la thune. Je me laissai convaincre et achetai l’herbe.

Herman et moi étions associés pour revendre l’herbe. Il dénicha Marian, une lesbienne qui habitait le Village et se disait poétesse. Nous entreposâmes l’herbe chez elle. Elle fumait tout ce qu’elle voulait et prenait 50 % sur ce qu’elle vendait. Elle connaissait beaucoup de fumeurs. Une autre lesbienne s’installa chez elle et chaque fois que j’y allais, il y avait cette énorme rousse de Lizzie qui me regardait de ses yeux de merlan pleins de haine stupide.

Un jour, Lizzie la rousse ouvrit la porte. Elle avait la figure d’un blanc cadavérique et gonflée à cause de tout le nembutal qu’elle avait pris pour dormir. Elle me fourra le paquet d’herbe dans les mains et me dit :

— Prends ça, et barre-toi. Vous êtes deux salauds.

Elle dormait encore à moitié. Sa voix était froide, comme si elle parlait d’un inceste.

— Remercie Marian pour tout, fis-je.

Elle claqua la porte, ce qui dut la réveiller car elle la rouvrit et se mit à gueuler d’une voix hystérique. On l’entendait encore de la rue.

Herman contacta d’autres fumeurs, mais ils nous envoyèrent paître. En réalité, vendre de l’herbe est un vrai casse-tête. Pour commencer, c’est encombrant. Il faut en avoir une pleine valise pour faire vraiment des bénéfices. Si les flics forcent votre porte, autant essayer de cacher une meule de foin.

Les fumeurs sont différents des camés. Ceux-ci payent, prennent leur came et décampent. Les fumeurs, eux, s’y prennent autrement. Ils s’attendent à ce que le fournisseur les fasse fumer ; ils discutent pendant une demi-heure avant d’acheter deux dollars de marchandise. Si vous les pressez, ils disent que vous êtes « flippant ». Pour eux, un revendeur ne doit pas crûment leur parler affaires. Non, il dépanne seulement quelques « mecs et nanas cool » parce qu’il y tâte lui-même. Tout le monde sait bien qu’il est revendeur, mais il ne faut pas le dire. Dieu sait pourquoi ! Pour moi, les fumeurs sont incompréhensibles.
Il y a beaucoup de secrets dans ce métier et les fumeurs gardent les leurs avec une sournoiserie imbécile. Ainsi, l’herbe doit être traitée, sinon elle est âcre et râpe la gorge. Mais demandez à un fumeur comment la traiter, il vous regardera d’un œil torve et stupide et vous enfilera un bobard idiot. L’herbe dérange peut-être bien le cerveau si l’on fume continuellement, ou peut-être que les fumeurs sont des crétins de naissance.

L’herbe que j’avais était verte. Je la mis donc au four au bain-marie jusqu’à ce qu’elle brunisse un peu. Voilà tout le secret du traitement de l’herbe ou, du moins, une des manières de le faire.

Les fumeurs ont l’instinct grégaire, ils sont susceptibles et paranoïaques. S’ils vous trouvent « rasoir » ou « flippant », ils ne feront plus affaire avec vous. Je découvris rapidement que je ne pourrais pas m’entendre avec ces individus et fus heureux de trouver quelqu’un à qui revendre le tout en couvrant juste mes frais. Et je décidai que je ne vendrais plus jamais de marijuana.
En 1937, la loi Harrison sur les stupéfiants fit figurer l’herbe sur la liste des narcotiques, sous prétexte que c’est une drogue créant une accoutumance, que son usage est nocif pour l’esprit et le corps et que les gens qui fument deviennent des criminels. Voici ce qu’il en est : il est absolument impossible de s’intoxiquer avec la marijuana. On peut fumer pendant des années sans ressentir le moindre malaise si, brusquement, on n’a plus rien à fumer. J’ai vu des fumeurs en prison et aucun ne montrait le plus léger symptôme de manque. Moi-même, j’ai fumé épisodiquement pendant quinze ans sans jamais éprouver de manque quand je n’en avais plus. L’herbe crée moins d’accoutumance que le tabac. Elle n’est pas nuisible à la santé. À dire vrai, la plupart des fumeurs prétendent qu’elle stimule l’appétit et qu’elle est tonique – personnellement je ne connais rien de tel pour ouvrir l’appétit. Je peux fumer un petit stick d’herbe, savourer un verre de sherry californien et aller me sustenter dans quelque gargote.
Une fois, je me suis guéri de la came en fumant de la marijuana. Le deuxième jour, je me suis attablé, et j’ai mangé un repas complet. Normalement, je ne peux rien avaler pendant huit jours lorsque je me désintoxique.

L’herbe ne rend pas violent non plus. Je n’ai jamais vu quiconque devenir méchant sous l’effet de l’herbe. Les fumeurs sont sociables. Un peu trop, même, à mon goût. Je me demande pourquoi les gens qui soutiennent que l’herbe rend violent n’insistent pas davantage, comme ils devraient en toute logique, pour faire interdire l’alcool. Des crimes sont commis tous les jours par des ivrognes qui, à jeun, n’auraient pas agi de la même façon.

On a dit beaucoup de choses sur les effets aphrodisiaques de l’herbe. Pour des raisons que j’ignore, les savants n’aiment pas admettre l’existence de substances aphrodisiaques et la plupart des pharmacologues affirment qu’il « n’existe aucune preuve qui étaye la croyance largement répandue que l’herbe possède des propriétés aphrodisiaques ». Je peux affirmer catégoriquement que l’herbe est un aphrodisiaque et que l’on fait l’amour bien plus agréablement après avoir fumé. Tous ceux qui ont déjà fumé de l’herbe de qualité pourront confirmer mes dires.

On raconte aussi que l’herbe rend fou. De fait, il existe une forme de folie due à l’usage abusif de l’herbe, folie étant ici compris au sens général. Mais il est bien évident que l’herbe qu’on peut acheter aux États-Unis n’est pas assez forte pour rendre dingue qui que ce soit, et les psychoses causées par l’herbe y sont rares. On dit qu’elles sont courantes au Proche-Orient. Les troubles mentaux dus à l’herbe ressemblent plus ou moins au delirium tremens et disparaissent dès que le malade cesse de fumer. Celui qui fume quelques cigarettes de marijuana par jour ne court pas plus le risque de devenir fou que le buveur d’apéritifs celui de connaître le delirium tremens.

Une remarque toutefois à propos de l’herbe. Un homme ayant fumé est absolument hors d’état de conduire une voiture. L’herbe déforme la notion du temps et donc des proportions spatiales. Un jour, à La Nouvelle-Orléans, je dus me ranger sur le bas-côté de la route et attendre que l’effet de l’herbe se dissipe. Je n’étais plus capable d’évaluer les distances ; je ne savais plus prendre les virages ni à quelle distance d’un croisement je devais commencer à freiner.

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