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Jésus, Marie, Joseph, c’était affreux – Charles Bukowski

Jésus, Marie, Joseph, c’était affreux – Charles Bukowski

jésus, marie, joseph, c’était affreux – par d’immenses orifices vaginaux, ils sortaient en courant de dessous la terre et me bousculaient comme si j’avais été une toupie, alors que j’arpentais Times Square avec ma valise en carton.

j’ai tout de même réussi à demander à l’un d’entre eux comment se rendre au Village et, une fois à bon port, je me suis déniché une carrée, mais quand j’ai débouché une bouteille de vin après m’être déchaussé, j’ai constaté qu’il y avait dans un coin de la chambre un chevalet, sauf que je ne peignais pas, que j’étais juste un jeune homme qui cherchait à s’en sortir, aussi me suis-je adossé au chevalet et ai-je éclusé mon vin tout en regardant la rue à travers une vitre sale.

lorsque je me suis décidé à ressortir pour m’acheter une nouvelle bouteille, je suis tombé dans le couloir sur un petit jeunot enveloppé dans un peignoir de bain en soie. j’ajoute qu’il portait un béret et des sandales, que sa barbe s’en allait par plaques, et qu’il gémissait au téléphone :

— mais oui, ma chérie, il faut qu’on se voie, bien sûr que oui, il le faut ! sinon je m’ouvre les veines… ! exactement !

j’ai aussitôt pensé que je devais me tirer d’un tel endroit. quel écœurant petit con ! il n’aurait même pas été capable d’ouvrir son courrier. dehors, ils se pavanaient dans des cafés hyperchics, en jouant aux Artistes avec leurs bérets et tout l’attirail.

je suis néanmoins resté dans cette piaule une semaine à boire tout mon soûl. pourquoi leur aurais-je fait cadeau du loyer ? puis, je m’en suis trouvé une autre en dehors du Village. vu l’état des peintures et sa surface habitable, elle m’a paru donnée, mais je n’ai pas cherché à comprendre pourquoi. au coin de la rue, il y avait un bar dans lequel j’ai siphonné jusqu’au soir de la bière. bien sûr, à chaque verre, mes finances fondaient un peu plus, mais, fidèle à moi-même, ma phobie des offres d’emploi m’empêchait d’y penser. que je me noircisse, ou que je la saute, l’essentiel était de saisir la symbolique de tels moments. à la nuit, après m’être acheté deux bouteilles de porto, j’ai regagné ma chambre. je me suis déshabillé dans le noir et je me suis mis au lit avec un verre. puis j’ai ouvert la première bouteille et découvert pour quelle raison je payais si peu cher. la ligne aérienne, la L, frôlait quasiment ma fenêtre. et, qui plus est, la station était située pile en face de l’immeuble. à chaque passage du métro, ma chambre s’illuminait comme sous des projecteurs. mais j’avais droit à une galerie de portraits, grandeur nature. d’horribles portraits : des putes, des orangs-outangs, des jobards, des tueurs – tous mes modèles, en somme. l’obscurité ne revenait que lorsque la rame s’éloignait – mais déjà la suivante s’annonçait. dites, comment faire alors pour ne pas picoler ?

l’immeuble appartenait à un couple de juifs qui de surcroît possédaient de l’autre côté de la rue une boutique de tailleur, laquelle faisait aussi pressing. or mes fringues commençaient à avoir besoin d’un bon nettoyage. on peut glisser dans la démence et avoir encore assez de bon sens pour comprendre que mes rots et mes pets sonnaient l’heure de la chasse au job. je me suis donc fringué et j’y suis allé, bourré comme un coing.

—… besoin que vous me laviez ou que vous me nettoyiez ou que vous…

— mon pauvre garçon ! comment pouvez-vous vivre dans ces LOQUES ? je ne pourrais même pas faire mes vitres avec de telles guenilles. une seconde, s’il vous plaît… Sam, ohé !

— quoi ?

— montre à ce charmant garçon le costume qu’on a oublié de venir nous réclamer.

— ah, effectivement, quel beau costume, mama ! je ne comprends pas pourquoi le client ne l’a pas repris.

inutile que je vous impose l’intégralité du dialogue. contentez-vous de savoir que j’avais beau protester que ce costume était trop petit pour moi, ils ne cessaient de me répéter que non. j’ai fini par leur dire que s’il n’était pas trop petit, son prix, lui, était certainement trop élevé. ils en ont demandé 7 dollars. j’ai grimacé. ils sont descendus à 6. ma grimace s’est allongée. quand on en a été à 4, j’ai insisté pour qu’ils me fassent entrer dans le costume. ils y sont parvenus. je leur ai alors allongé les 4 dollars. après être remonté dans ma chambre, j’ai mis le costume sur un cintre et je me suis couché. quand j’ai rouvert les yeux, il faisait nuit noire (sauf lorsque le L s’amenait) et l’envie m’a pris de refoutre ce costume et d’aller me dégotter une femme, une belle bien sûr, qui voudrait bien entretenir un homme pourri de talents cachés.

quand j’ai enfilé le pantalon, la couture de l’entrejambe a cédé jusqu’à la ceinture. qu’importe, j’étais paré. un vent coulis me rafraîchissait les fesses, mais le bas de la veste devait logiquement le pallier. or, lorsque je l’ai passée, cette veste, l’épaulette gauche a éclaté, et l’immonde rembourrage qui la remplissait s’est répandu partout.

j’étais une nouvelle fois de la revue.

je me suis débarrassé de ce qu’il restait du costume et j’ai décidé qu’il était temps de décamper.

et j’ai échoué dans une espèce de cave, au bas des escaliers et pas loin du local à ordures. réflexion faite, j’étais enfin dans mon élément.

la première nuit, juste après la fermeture des bars, ne voilà-t-il pas que je ne retrouve pas ma clé, et comme j’étais en chemisette blanche, le genre californien, je me suis réfugié dans un bus circulaire pour ne pas geler sur pied. mais à un moment, le chauffeur a annoncé que c’était le terminus ou qu’il avait fini son service. impossible à cause de mon ivresse de m’en souvenir avec précision.

quoi qu’il en soit, la température avait encore fraîchi et j’étais à l’autre bout de la ville, en face du Yankee Stadium.

par tous les saints, ai-je pensé, je vais mourir à deux pas du lieu où jouait Lou Gehrig, le héros de ma jeunesse. mais, dans le fond, quoi de plus logique ?

j’ai mis un pied devant l’autre et, quelques centaines de mètres plus loin, j’ai aperçu un café ouvert. je me suis précipité à l’intérieur. toutes les serveuses étaient noires et avaient dépassé l’âge de plaire, mais elles servaient le café dans de grandes tasses, et les beignets ne coûtaient quasiment rien.

j’ai pris mon plateau et me suis installé à une table. après avoir dévoré mon beignet et dégusté mon café, je me suis allumé une extra-longue, aussitôt des voix se sont élevées :

— PRIEZ LE SEIGNEUR, MON FRÈRE !

— OH, OUI, LOUEZ-LE, MON FRÈRE !

à l’évidence, toutes les serveuses ainsi que quelques consommateurs priaient pour moi. Sympa. enfin, on reconnaissait mon importance. l’Atlantic Monthly et Harper’s expieraient d’ici peu leurs péchés en enfer. le génie finissait donc toujours par être reconnu. affichant mon plus beau sourire, j’ai lâché avec satisfaction un superbe rond de fumée.

c’est alors que l’une des serveuses m’a crié :

— ON NE FUME PAS DANS LA MAISON DU SEIGNEUR, MON FRÈRE !

j’ai écrasé ma cigarette. j’ai fini mon café, et j’ai mis les voiles, sur la façade, on lisait en lettres d’imprimerie :

MISSION DU DIVIN SAUVEUR

je m’en suis allumé une autre et j’ai repris ma longue marche vers mon chez-moi. où j’ai eu beau sonner, aucun locataire n’a voulu m’ouvrir. résultat, je me suis allongé sur le toit du local aux ordures, bien décidé à y passer le reste de la nuit, car je savais que sur le trottoir les rats m’auraient boulotté vite fait. j’étais jeune mais futé.

si futé que le lendemain je me suis trouvé un job. de sorte que la nuit suivante, malgré gueule de bois, tremblements divers et totale absence d’allégresse, j’ai pointé au chagrin.

deux anciens avaient été chargés de ma formation. ils faisaient ce boulot depuis l’invention du métro. on est donc partis tous les trois avec sous le bras gauche nos lourds panonceaux publicitaires et tenant de la main droite une sorte de pince, qui ressemblait vaguement à un décapsuleur.

— les New-Yorkais transportent partout avec eux ces petites bestioles verdâtres, a fait brusquement l’un d’eux.

— ah, vouais, ai-je marmonné, me foutant éperdument de la couleur de ces bestioles.

— regarde sous les sièges, et t’en verras plein, chaque nuit, c’est le même topo.

— hélas ! a soupiré le second.

et on a continué.

bon sang, me suis-je dit, Cervantès s’est-il jamais frotté à ça ?

— et maintenant, observe, a grogné le premier, chaque panneau a son numéro, et il suffit, après avoir enlevé l’ancienne, d’y glisser la pub qui porte le même numéro.

tchac, tchac. il a décapsulé les goupilles, inséré la nouvelle réclame, remis les goupilles, et fait passer la pub périmée dans la pile qu’il portait sous son bras gauche.

— à ton tour.

j’ai essayé. les goupilles n’ont pas voulu venir. je devais avoir un outil défectueux. mais j’étais surtout nauséeux et déprimé.

— tu finiras par y arriver, a dit l’un des vieux.

ÇA FINIRA PAR ARRIVER, et tu l’auras dans l’os, ai-je pensé.

on a encore bougé.

et on est sortis du wagon par l’arrière. directement sur la voie. qui reposait elle-même sur des traverses de bois espacées l’une de l’autre par un bon mètre de vide. de quoi facilement, et sans se forcer, passer à travers. Or on plafonnait à près de trente mètres au-dessus de la rue, et quasiment la même distance nous séparait de la rame suivante. lestés de leur précieuse cargaison, les deux anciens ont sauté de traverse en traverse, puis se sont arrêtés pour m’attendre. sur la voie de droite, un train faisait son plein de voyageurs. aussi la scène était-elle particulièrement bien éclairée, mais qu’est-ce que ça changeait ? sinon que l’espace vide entre les traverses se dessinait encore nettement mieux.

— ARRIVE ! ARRIVE ! ON EST CHARRETTE !

— je vous emmerde, vous et votre charrette, leur ai-je crié.

et sans lâcher panonceaux et décapsuleur j’ai avancé un pied précautionneux sur la première traverse. ensuite de quoi, j’ai attaqué la deuxième, puis la troisième… le cœur au bord des lèvres.

tout à coup, la rame de droite a démarré, et ç’a été la nuit noire. plus noire que le trou du cul du diable. atteint de cécité que j’étais, impossible de distinguer la traverse suivante. je me suis vissé sur place.

— rapplique ! rapplique ! y a encore plein de trains à se taper !

progressivement, mes yeux se sont habitués. et j’ai rejoué, en tremblant, les funambules. certaines traverses, usées et pleines d’échardes, ployaient dangereusement. à force, je n’ai même plus entendu les anciens. c’était comme si les traverses m’avaient hypnotisé, sauf que, chaque fois que je levais le pied, je me voyais déjà faisant la grande culbute.

lorsque je me suis hissé dans le wagon, j’ai aussitôt envoyé balader panonceaux et décapsuleur.

— tu dérailles ou quoi ?

— dérailler ? D’ACCORD, MAIS SANS MOI, ALORS.

— qu’est-ce qui te travaille ?

— un faux pas et bienvenue au cimetière. êtes-vous trop cons pour le comprendre ?

— on n’a eu à déplorer la mort de personne.

— mais personne ne boit comme moi. vu ? et maintenant, dites-moi comment je fais pour me tirer d’ici.

— il y a bien un escalier de secours là-bas à droite, mais il faut que tu traverses la voie au lieu de la longer, ce qui veut dire que tu devras enjamber deux ou trois rails conducteurs.

— rien à branler ! c’est quoi, ce rail conducteur ?

— celui qui transmet l’électricité à la rame, tu l’effleures et tu montes au ciel.

— montrez-moi le chemin.

ils me l’ont montré. ça ne m’a pas paru aussi loin que ça.

— vous êtes des gentlemen, merci.

— gaffe au rail conducteur. c’est comme de l’or. si t’y touches, tu brûles.

j’ai fait un pas de côté. dans mon dos, j’ai senti leurs regards. ensuite, en levant haut la jambe mais non sans élégance, j’ai franchi chaque rail conducteur qui, sous la lueur de la lune, semblait bienveillant et flegmatique.

lorsque j’ai atteint l’escalier, je me suis senti revivre. au bas des marches, il y avait un bar. avec plein de gens qui riaient. j’ai poussé la porte et me suis assis. un type racontait une histoire à propos de sa mère, qui ne pensait qu’à le dorloter, à lui payer des leçons de piano et de dessin, alors que lui se démerdait comme un chef pour lui faire cracher son blé afin de se beurrer la gueule. tout le bar se gondolait. à mon tour, je m’y suis mis. ce type-là débordait de talent, et il nous en assénait la démonstration sans que ça nous en coûte un. la rigolade a pris fin lorsque le bar a fermé, chacun s’en est alors allé vers son destin.

très peu de temps après, j’ai quitté New York, et n’y suis jamais retourné, je n’y reviendrai d’ailleurs jamais, les villes ont été créées pour exterminer l’humanité. s’il existe des villes qui ne portent pas la poisse, il en existe aussi d’autres. et ce sont les plus nombreuses. à New York, mieux vaut être né coiffé. ce qui n’est pas mon cas. bref, sans l’avoir vraiment prémédité, je me suis retrouvé à Kansas City, quartier est, dans une chambre agréable, à écouter le gérant dérouiller la femme de ménage sous le prétexte qu’elle n’avait pas réussi à me vendre son cul. de nouveau, c’était concret, sans danger et hygiénique. assis sur mon lit, et sur fond de hurlements, je m’en suis servi un – tassé – et j’ai savouré le contact de draps enfin propres. le gérant savait y faire. même avec la tête de la fille qui rebondissait contre le mur.

et qui sait si demain, quand j’aurai récupéré de ce périple en bus, je ne lui en mettrai pas un petit coup ? elle a un joli cul. et par chance, ce n’est pas lui qui morfle. bon, en résumé, j’ai réchappé à New York, et je suis presque vivant.

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