Je n’écrivais pas – Charles Bukowski
Cher Mr. Bukowski,
Vous dites avoir commencé à écrire à l’âge de 35 ans. que foutiez-vous auparavant ?
E.R.
Cher E.R.,
Je n’écrivais pas.
les astuces, ça la connaît, Mary. et, cette nuit-là, comme elle ne voulait pas se tirer de chez moi, elle est ressortie de la salle de bains, les cheveux ramenés sur le côté :
— regarde-moi !
je venais juste de me resservir un verre de vin :
— pétasse ! t’es qu’une affreuse poufiasse…
après un nouveau séjour dans la salle de bains, elle a remis ça, cette fois sa bouche lippue recouverte d’un épais rouge à lèvres :
— regarde ! t’as déjà vu Mrs. Johnson ?
— radasse, putasse de l’enfant jésus…
et je m’en suis allé, cigarette au bec, m’étendre sur le lit, après avoir posé en équilibre, instable, mon verre sur la table de nuit. j’étais pieds nus, en calebar, et je n’avais pas changé de tricot de corps depuis une semaine. elle a fait quelques pas, puis s’est penchée sur moi :
— T’ES LE PLUS GROS RAT DE TOUS LES TEMPS !
— ah ! ai-je ricané.
— puisque c’est comme ça, je me fais la malle.
— va au diable ! mais, un bon conseil, ne t’avise pas de…
— de quoi ?
— de claquer la porte en partant. j’en ai marre des portes qui claquent. si tu t’y risques, c’est le beignet que je te claque.
— t’en as pas les COUILLES !
comme de bien entendu, elle l’a claquée, la porte. et si fort que j’ai failli en être traumatisé. quand les cloisons ont cessé de vibrer, j’ai sauté du pieu, vidé mon verre, et foncé vers la lourde. sans prendre le temps de passer quelque chose. mais elle m’a entendu ouvrir la porte et s’est mise à cavaler, sauf qu’elle était handicapée par ses hauts talons. j’ai traversé le couloir et l’ai rattrapée au haut des marches. la retournant comme une toupie, je lui ai allongé une baffe du plat de la main. hurlement et chute. comme elle a atterri sur le cul et que ses jambes sont venues en dernier, j’en ai profité pour mater jusqu’au plus haut ses éblouissantes colonnes de nylon, et je me suis pensé, la con de toi, tu dois être TIMBRÉ ! peut-être, mais à ce jeu-là, j’aurais encore une fois perdu, en conséquence de quoi, j’ai, mais sans me hâter, rebroussé chemin pour, une fois dans ma piaule, me resservir un coup de blanc. avec, en fond musical, ses sanglots perçants. jusqu’à ce que quelqu’un ouvre sa porte.
— qu’est-ce qui t’arrive, ma grande ?
(c’était une voix de femme.)
— il m’a BATTUE ! mon mari m’a BATTUE !
(MARI !?)
— oh, ma pauvre chérie, bouge pas, je vais t’aider à te relever.
— c’est pas de refus.
— et tu vas faire quoi, maintenant ?
— sais pas. j’ai nulle part où aller.
(infecte menteuse.)
— écoute, le mieux c’est que tu te trouves un lit pour la nuit, et, demain, quand il partira bosser, tu réintègres ton foyer.
— BOSSER ! a-t-elle glapi. BOSSER ! DE SA VIE ENTIÈRE, IL N’A JAMAIS BOSSÉ, CE FILS DE PUTE !
c’était assez comique. suffisamment en tout cas pour que je sois saisi d’un fou rire. du coup, j’ai dû enfouir mon visage sous un oreiller de peur que Mary ne m’entende. lorsque je me suis calmé, je suis allé jeter un œil dans le couloir. il n’y avait plus un chat.
mais deux jours plus tard elle s’est repointée, et on s’est rejoué la grande scène du deux, moi en calcif, piquant ma rogne, et elle, se refaisant une beauté et voulant à toute force m’exhiber ce que j’étais censé perdre.
— si je pars, je ne reviendrai plus ! j’en ai par-dessus la tête de toi ! ça déborde ! pardonne-moi de te le dire, mais tu me débectes ! de haut en bas, tu n’es qu’une pourriture ! mieux vaut donc tirer le rideau !
— et toi, t’es qu’une pute, une pute bonne à lécher le trottoir…
— exact, sinon comment aurais-je pu me mettre avec toi ?
— tiens, tiens, je n’avais jamais envisagé les choses de cette façon.
— eh bien, envisage-les.
fallait que je m’enfile d’abord un verre de vin.
— cette fois, lui ai-je alors dit, je vais te reconduire à la PORTE, te l’ouvrir et, MOI-MÊME, te la refermer, sans pour autant oublier de t’en souhaiter une bonne… t’es prête, chérie ?
sans attendre sa réponse, je me suis avancé jusque vers la porte, où je l’ai attendue, en calcif, mais avec un verre de nouveau plein.
— presse-toi, j’ai pas toute la nuit. une rupture, c’est une rupture, n’est-ce pas ?
elle ne paraissait pas apprécier ma façon de faire. mais elle a néanmoins franchi le seuil de mon appart, avant de se retourner et de me dévisager.
— bon, allez, ça suffit, les regards ! que la nuit t’emporte ! qui sait, peut-être que tu pourras solder ton con vérolé pour un dollar vingt-cinq à ce vendeur de journaux, celui qui a le pouce droit en moins et un masque de caoutchouc pour visage. allez, du balai, chérie !
mais alors que je m’apprêtais à lui fermer la porte au nez, elle a brandi son sac au-dessus de sa tête en hurlant « t’es qu’une POURRITURE de fils de pute ». sourire aux lèvres et sans bouger d’un millimètre, j’ai vu le sac décrire un arc de cercle – merde, quand on s’est frotté à autant de brutes que moi, un sac de femme, ça ne peut être que de la rigolade, sauf que, bang, j’ai salement accusé le coup. c’était hyper lourd, probable qu’elle l’avait bourré à mort, son sac. en tout cas, sur le haut de mon crâne, j’ai bien senti la forme de son gros pot de crème démaquillante. quasiment une pierre.
— bébé !
c’est tout ce dont j’ai été capable, car, bien que je n’eusse ni perdu mon sourire ironique ni lâché la poignée de porte, j’étais sonné. momifié sur place.
elle m’en a remis illico un coup.
— mais, bébé !
et encore un autre.
— enfin, bébé !
mes jambes ont commencé à me lâcher. mais tout le temps où je me suis lentement affaissé, elle ne s’est pas gênée pour me frapper encore plus fort. elle avait du punch. ça tombait comme à gravelotte, à croire qu’elle voulait me défoncer le crâne. ce fut le troisième k.o. de ma carrière, si on peut appeler cela une carrière, mais le premier que m’infligeait une femme.
quand j’ai repris mes esprits, la porte était fermée, et je baignais dans une mare de sang. par chance, le plancher était recouvert de lino. après m’être remis tant bien que mal debout, j’ai pris la direction de la cuisine. j’y avais planqué une bouteille de raide pour les grandes occasions. et c’en était une. je l’ai ouverte et m’en suis aspergé le cuir chevelu. puis, je me suis rempli un verre et l’ai vidé cul sec. l’immonde viceloque, dire qu’elle avait voulu me TUER ! incroyable, non ? un instant, j’ai même envisagé de porter plainte contre elle. mais, non, ce n’était pas un bon plan, à tous les coups, les flics l’auraient embrochée, tandis qu’ils m’auraient emboîté.
l’appartement était au troisième. aussi, après m’être remouillé la luette, ai-je ouvert la penderie, d’où j’ai sorti ce qui lui appartenait, depuis les robes jusqu’aux porte-jarretelles, en passant par les pompes, les petites culottes, les combinaisons, les soutiens-gorge, les chaussons et les mouchoirs, toute sa merde, quoi ! et les uns après les autres, j’ai été les porter sur le rebord de la fenêtre, accompagnant chacun de mes déplacements d’une rasade de whisky. « ah, cette connasse à ressorts a voulu me tuer, eh bien, par ici la sortie…» en face de l’immeuble, il y avait un petit pavillon, et entre les deux un chantier de construction à l’abandon, de sorte qu’à cause du trou béant des fondations, mon troisième étage correspondait facilement à un septième. longtemps, j’ai essayé, avec les petites culottes, d’atteindre les fils électriques, mais sans le moindre succès. ça m’a mis en colère, et je n’ai plus cherché à viser quoi que ce soit. j’ai tout envoyé à la volée… n’importe où. sur les buissons, sur les arbres, sur la palissade, et même dans la boue du chantier. je me suis alors senti beaucoup mieux et, m’étant dégotté une serpillière, j’ai, avec l’aide de la bouteille, nettoyé ce qu’il fallait.
le lendemain matin, ma tête me faisait si mal que j’ai renoncé à me coiffer, me contentant de les mouiller et de les plaquer avec mes mains. une épaisse croûte d’au moins huit centimètres sur le haut du caberlot. Vers 11 heures, je suis descendu jusqu’au rez-de-chaussée avec l’idée de lui récupérer ses affaires. mais tout avait disparu. c’était parfaitement incompréhensible. dans le jardin du petit pavillon, un vieux pet de lapin s’activait avec un déplantoir.
— dites, vous n’auriez pas vu par hasard des vêtements ?
— quel genre de vêtements ?
— de femme.
— effectivement, y en avait partout. je les ai ramassés pour les donner à l’armée du salut. et je leur ai téléphoné pour qu’ils viennent les chercher.
— mais ce sont ceux de ma femme.
— j’ai cru qu’on avait voulu s’en débarrasser.
— erreur !
— ben, ils sont encore là, dans une boîte.
— génial ! je peux les reprendre ?
— bien sûr, mais faut me comprendre, on aurait vraiment dit qu’ils avaient été jetés.
le vieux pet de lapin est entré dans son pavillon pour en ressortir bientôt avec une boîte. il me l’a passée par-dessus sa barrière.
— merci.
— de rien.
puis, il s’est remis à genoux et a recommencé avec son déplantoir, tandis que je m’en revenais vers mon appart.
ce soir-là, elle est passée avec Eddie et Duchesse. ils avaient apporté du vin. j’ai sorti des verres.
— mince, c’est propre chez toi, a dit Eddie.
— écoute, Hank, faut plus se battre ! ça me rend malade, toutes ces scènes ! enfin, tu sais que je t’aime, et vraiment très fort, a enchaîné Mary.
— super !
la Duchesse se tenait en face de moi, le visage masqué par ses cheveux en bataille, les bas en lambeaux, et la bave aux lèvres. je me suis vu en train de l’enfiler. elle possédait ce sex-appeal répugnant qui m’excite. moyennant quoi, j’ai expédié Mary et Eddie chercher encore quelques bouteilles, et sitôt qu’ils eurent refermé la porte je lui ai sauté sur le poil et l’ai jetée sur le lit. ce n’était qu’un sac d’os intensément tragique. une pauvre chose qui n’avait pas dû faire un vrai repas depuis deux semaines. n’empêche que je la lui ai enfoncée. et que ça n’a pas été si mauvais que ça. et en plus, c’est allé vite. si vite que lorsque les deux autres sont revenus, on avait déjà repris nos places.
on buvait depuis une bonne heure quand la Duchesse a soudain remis de l’ordre dans sa coiffure et pointé sur moi son doigt squelettique. un ange est passé, jusqu’à ce qu’elle s’écrie sans cesser de me désigner :
— il m’a violée ! oui, il l’a fait pendant que vous étiez allés chercher du vin.
— merde, Eddie, tu vas quand même pas la croire ?
— et pourquoi que je la croirais pas ?
— écoutez, si vous doutez d’un ami, y a plus qu’à tirer la chasse !
— la Duchesse ne ment jamais. et si elle dit que tu…
— ALLEZ TOUS VOUS FAIRE VOIR AILLEURS ! VOUS N’ÊTES QUE DES ORDURES !
je me suis levé et j’ai envoyé valdinguer un verre de vin contre le mur (le nord, je précise).
— moi aussi ? a gémi Mary.
— TOI AUSSI ! ai-je hurlé en pointant mon doigt sur elle.
— oh, Hank, moi qui pensais qu’on en avait terminé avec toute cette merde ! si tu savais à quel point j’en ai ma claque de ces fausses ruptures…
ils ont pris la direction de la porte. Eddie en tête, la Duchesse au milieu, et Mary en queue de peloton. ce qui n’a pas empêché la Duchesse de continuer sur le même ton.
— il m’a violée, je vous dis qu’il l’a fait. oui, oui, il m’a violée, je vous le jure…
complètement siphonnée.
mais comme ils allaient sortir, j’ai attrapé Mary par le poignet :
— toi, tu restes, salope !
et je l’ai traînée à l’intérieur, puis j’ai mis la chaîne de sécurité. ensuite de quoi, j’ai collé cette salope contre moi et lui ai viré le patin qui tue, tout en lui pétrissant d’une main son cul.
— oh, Hank…
on sentait qu’elle aimait ça.
— dis, Hank, t’as tout de même pas baisé ce sac d’os ?
je n’ai pas répondu. j’ai continué à la travailler au corps. elle a laissé tomber son sac, et sa main s’est emparée de mes couilles qu’elle a malaxées. j’étais limite de l’évanouissement, j’avais besoin de fermer l’œil, ne serait-ce qu’une moitié d’heure.
— à propos, j’avais jeté tous tes vêtements par la fenêtre.
— PARDON ?
elle a lâché mes couilles et écarquillé ses yeux.
— mais je les ai tous récupérés, tu veux savoir pourquoi ?
j’ai pris du champ, assez pour nous resservir deux verres.
— est-ce que tu te rends compte que t’as failli me tuer ?
— quoi ?
— ne me dis pas que t’as oublié.
je me suis assis, et elle s’est approchée de moi, quand elle a découvert la croûte, elle s’est exclamée :
— oh, mon pauvre bébé, dieu que je suis navrée !
elle s’est penchée sur ma plaie violacée et l’a embrassée avec beaucoup de tendresse. aussi sec, j’ai envoyé ma main en éclaireur sous sa jupe, et on s’est de nouveau mélangés. résultat, c’était maintenant de quarante-cinq minutes de repos que j’avais besoin. on n’a plus bougé, dans les bras l’un de l’autre, échoués en plein milieu de notre misère et du verre brisé. cette nuit, personne ne frapperait personne, il n’y aurait ni putes, ni loquedus. l’amour régnerait en maître, tandis que le linoléum tout propre serait un théâtre d’ombres.