Je compare – Jean-Joseph Rabearivelo
Reconnaissance à Paul Gauguin
Pour Urbain Faurec
Je compare, je confronte
les ombres des ombres animées par le maître
qui dorment dans le livre de Robert Rey
comme des captives enchaînées,
et quelques feuilles océaniennes
où il y a des images en noir,
et les hommes qui m’entourent,
et moi-même aussi.
Puis quelques chants d’amis
nés dans les terres froides
mais appelés à vivre au bord des mers torrides,
et ces paroles pour chant dites pantoum
dont sont fleuris les hauts élans des bambous
qui harponnent le soleil,
et ces mélopées nostalgiques
qui bercent de leurs syllabes harmonieuses
l’enfance de la lune
au ciel d’Imerina,
et cette voix intérieure aussi
que j’écoute depuis longtemps dans sa langue babélique.
Qui explorera les ténèbres des affinités obscures,
ponts de clarté emportés par les flots et l’ombre des âges?
Qui dirigera le chœur
célébrant l’origine commune
à ces ombres ravies sur les plages australes
puis épinglées dans ce livre que je feuillette,
et à ces jeunes hommes, et à ces jeunes femmes
pareillement rendus à la nature par la chute de l’oiseau de lumière
puis par son relèvement ?
Je les guette pendant le règne de l’été,
et je les vois qui se donnent la main
aux frontières des légendes,
aux rives du fleuve des fables;
et, tandis que s’élève le chant des continents,
je clame ton nom,
ô Paul Gauguin, ô Paul Gauguin
qui t’exilas au bord de la mer lointaine
où mes pères s’étaient peut-être embarqués dans des boutres –
là où je fusse, moi, resté
en l’attente de ton miracle.