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Il faisait une chaleur à tout casser – Charles Bukowski

Il faisait une chaleur à tout casser – Charles Bukowski

il faisait une chaleur à tout casser dans cette turne. je me suis dirigé vers le piano et j’en ai joué. jamais je n’ai su en jouer. je me contente de tapoter les touches. sur le canapé, un couple dansait. c’est en regardant sous le piano que j’ai découvert une fille les quatre fers en l’air, sa robe retroussée jusqu’au nombril. je me suis mis à jouer d’une main tandis que de l’autre je m’en suis allé caresser la fille qui s’est réveillée. ou elle détestait mon style, ou elle n’appréciait pas les grattouilles, car elle s’est tirée. sur le canapé, le couple a cessé de se trémousser. j’ai pris leur place et roupillé un petit quart d’heure. ça faisait deux jours et deux nuits que je n’avais pas fermé l’œil. et la chaleur devenait suffocante. quand j’ai émergé, j’ai vomi dans une tasse à café. lorsqu’elle a été pleine, plutôt que de me voir maculer le canapé, quelqu’un m’a tendu un grand broc. au bon moment. car c’est reparti vite fait. du lait qui aurait tourné. comme tout le reste de la piaule, d’ailleurs.
je me suis levé et me suis dirigé vers la salle de bains. à l’intérieur, il y avait deux types à poil. le premier était en train de savonner la bite et les couilles du second en s’aidant de crème à raser et d’un blaireau.
— je ne veux qu’une chose, ai-je dit, couler mon bronze.
— vas-y, a répondu le savonné, on ne te dérangera pas.
je me suis assis sur la cuvette.
le savonneur a dit à l’autre :
— il paraît que Simpson s’est fait lourder du Club 86.
— chez KPFK c’est pire, a fait le savonné, ils ont licencié plus de monde que Douglas Aircraft, Sears Roebuck et Thrifty Drugs réunis. pour un mot en l’air, pour une remarque anodine qui touche à leur conception préfabriquée de l’homme, de la politique, de l’art, ou de tout ce que tu voudras, tu prends immédiatement la porte. le seul qui soit passé au travers dans cette boîte, c’est Eliot Minz. il ressemble à ces accordéons pour mômes, de quelque façon que tu t’en serves, il en sort le même son.
— maintenant fais-toi reluire, l’a interrompu le savonneur.
— reluire quoi ?
— ta queue… qu’elle devienne grosse, très grosse !
j’en ai lâché un énorme.
— doux jésus, a dit le savonneur qui ne savonnait plus rien, vu qu’il avait balancé son blaireau dans le lavabo.
— quoi, doux jésus ? a fait l’autre.
— t’as le gland comme un marteau.
— j’ai eu un accident, voilà tout.
— qu’est-ce que je donnerais pour avoir ce genre d’accident !
j’en ai lâché un second.
— à présent, mets le paquet.
— le paquet sur quoi ?
— tords-la en arrière et insère-la entre tes cuisses.
— comme ça ?
— super.
— et ensuite ?
— ensuite, pèse de tout ton poids sur ton ventre. fais-la glisser. comme dans un mouvement de va-et-vient. mais serre bien les cuisses. ça y est ! tu vois ! plus jamais tu n’auras besoin d’une femme !
— oh, Harry, ça n’a rien à voir avec une chatte ! arrête avec le baratin ! ne me prends pas pour un con !
— ça demande juste un peu de PRATIQUE ! tu verras ! tu verras !
je me suis torché, j’ai tiré la chasse et je suis sorti.

dans le frigo, j’ai pris une bière, non, deux, et je les ai, toutes les deux, ouvertes, et j’ai commencé à boire. je devais, à vue de nez, me trouver quelque part dans North Hollywood. je me suis posé en face d’un type qui portait un casque de couleur rouge et une barbe d’un bon demi-mètre. pendant les deux nuits, les amphètes lui avaient donné du génie, mais maintenant il redescendait sur terre. il ne dormait pas encore, il planait dans l’interzone, entre la tristesse et le dégoût. peut-être espérait-il un joint pour redémarrer, mais les âmes charitables manquaient.
— Big Jack ! me suis-je soudain exclamé.
— Bukowski, a répondu Big Jack, tu me dois 40 dollars.
— curieux, je croyais t’en avoir rendu 20 l’autre nuit. c’est pas de blague, je me revois encore en train de te les filer.
— allons, tu ne revois rien, car tu étais rond, Bukowski, tu voyais double, voilà la vérité.
Big Jack déborde de préjugés contre les ivrognes.
Maggy, sa petite amie, se tenait à ses côtés.
— la vérité, a-t-elle corrigé, c’est que tu as vraiment allongé un billet de 20, mais c’était parce que t’avais le gosier sec. on t’a rendu service, on est sortis t’acheter ta merde, et on te l’a ramenée, avec ta monnaie.
— bon, d’accord, dites, où on est ? North Hollywood ?
— mais non. Pasadena.
— Pasadena ! c’est à ne pas y croire.
tout en leur parlant, je n’avais cessé d’observer le manège autour du grand rideau qui nous séparait du reste de l’appart’. certains en ressortaient au bout de dix ou de vingt minutes, d’autres ne réapparaissaient plus du tout, probable que ça devait durer depuis quarante-huit heures. j’ai liquidé ma bière, je me suis redressé et, après avoir écarté le rideau, je suis passé de l’autre côté. l’obscurité la plus totale, mais qui empestait l’herbe, et le cul. tant que mes yeux ne s’y sont pas habitués, je n’ai pas bougé. quasiment que des mâles à perte de vue. se léchant le trou de balle. s’enfilant.se taillant des pipes. ce n’était pas pour moi. je n’ai rien d’un mec à la coule. ça ressemblait aux gymnases pour hommes quand on passe à autre chose qu’aux barres parallèles, et que se répand l’odeur aigrelette du sperme. j’ai failli m’étouffer. un noir café au lait s’est approché de moi :
— mais vous êtes Charles Bukowski, n’est-ce pas ?
— ça se pourrait.
— fabuleux ! quel choc ! jamais rien connu de tel ! vous savez, j’ai dévoré Le Crucifix dans une main moite, il faut remonter à Verlaine pour trouver aussi fort.
— Verlaine ?
— oui, oui, Verlaine.
sa main a vogué vers moi et s’est emparée de mes couilles. je l’ai repoussée.
— qu’est-ce qui ne va pas ? a-t-il demandé.
— pas encore, mon chou, je suis à la recherche d’un ami…
— oh, pardon…
il s’est éloigné tandis que je me concentrais sur le spectacle. et c’est juste au moment où je venais de me décider à lever le camp que j’ai remarqué une nana adossée au mur du fond. les jambes écartées, et complètement dans les vapes. j’ai marché vers elle et l’ai bien regardée. puis, j’ai baissé futal et calcif. elle m’a paru partante. aussi je lui ai mis mon engin là où il fallait. jusqu’à la garde.
— oooh, a-t-elle gémi, ce que c’est bon ! tu l’as tellement recourbé ! on dirait un crochet !
— un accident de la petite enfance, collision avec un tricycle.
— oooooh.
je sentais que ça montait quand quelque chose est venu brusquement SE PLANTER entre mes fesses. ça a fait tilt dans ma tête.
— LA PUTAIN DE MES DEUX !
avec ma main, j’ai arraché la chose et me suis retrouvé serrant la queue d’un inconnu.
— t’avais quoi comme projet, mon pote ? ai-je dit.
— mets la pédale douce, l’ami. ici, c’est comme avec les cartes. si tu veux jouer, tu n’en refuses aucune, tu prends ce qu’on te donne.
je me suis rembraillé et je n’ai pas demandé mon compte.
Big Jack et Maggy avaient disparu. un couple gisait face contre terre. j’ai récupéré une autre bière, l’ai bue, puis j’ai mis les voiles. le soleil m’a fait le même effet que le gyrophare d’une voiture de flics. sous l’essuie-glace de ma caisse que j’avais rangée sur une sortie de garage, un mécontent avait glissé une contredanse. pourtant, on aurait encore pu manœuvrer à l’aise, mais je suppose que nul n’est censé ignorer la loi. sympa !

je me suis arrêté à la station-service de la Standard Oil et le pompiste m’a indiqué comment rejoindre l’autoroute. j’ai roulé jusqu’à chez moi. j’étais en eau. et je me mordais les lèvres pour ne pas m’endormir. dans ma boîte, m’attendait une lettre de mon ex qui vit en Arizona.

«… je me doute que dans ta solitude il doit t’arriver de déprimer. “La Passerelle” est ce qu’il te faut, vas-y, à mon avis, tu aimeras les gens que tu y rencontreras, du moins certains d’entre eux. sinon ne manque pas les lectures de poèmes à l’église unitarienne…»

je me suis fait couler un bain, bien chaud. je me suis déshabillé, j’ai ouvert une bière, j’en ai lampé la moitié, puis, après avoir posé le can en équilibre sur le rebord de la baignoire, je suis entré dans le bain. une fois dedans, j’ai pris le savon à barbe et le blaireau et j’ai commencé à me tripoter le manche et l’œillet.

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