Hommes et engrenages – Ernesto Sabato
(Extrait)
Toute l’horreur des siècles passés et présents au cours de la longue et difficile histoire de l’homme est inexistante pour chaque enfant qui naît comme pour chaque jeune qui commence à créer. Chaque espérance de chaque jeune est une espérance nouvelle — et heureusement -, car la douleur ne se ressent que dans sa chair propre. Cette candide espérance se salit en permanence, cela va de soi, se détériore misérablement, devient la plupart du temps un torchon saie, qu’on finit par jeter avec dégoût. Mais ce qui est admirable c’est que l’homme continue à lutter malgré tout et que, désillusionné ou triste, fatigué ou malade, il continue à tracer des chemins, à labourer la terre, à lutter contre les éléments et à créer des œuvres de beauté au sein d’un monde barbare et hostile. Cela devrait suffire à nous prouver que le monde possède bien quelque sens mystérieux et à nous convaincre que, même s’ils sont mortels et mauvais, les hommes peuvent atteindre par certaines voies la grandeur et l’éternité. Et que, s’il est certain que Satan est l’âme de la terre, quelque part, dans un coin du ciel ou de notre être réside un Esprit Divin qui lutte inlassablement contre lui, pour nous relever une nouvelle fois de la boue de notre désespoir.