Hautaines tes lèvres, rauque ta voix, ô mer – Walt Whitman
Hautaines tes lèvres, rauque ta voix, ô mer, qui te confies à moi !
Jour et nuit je parcours ta plage battue par les vagues,
Représentant à mon esprit tes suggestions étranges, variées,
(Car ici je te vois et t’entends clairement bavarder et confabuler).
Tes troupes de coursiers à la crinière blanche galopant vers le but de leur course.
Ton visage ample et souriant, éclaboussé par le soleil qui le marque de fossettes scintillantes,
Ta méditation farouche et sombre — tes ouragans déchaînés,
Ton insoumission, tes caprices, ton entêtement ;
Grande comme tu l’es, d’une grandeur qui t’élèves au-dessus de tout le reste, tu as tes larmes abondantes — il est quelque chose qui, de toute éternité, manque à ton contentement,
(Il a fallu les plus énormes luttes, injustices, défaites,
pour faire de toi la plus grande — il n’a pas fallu moins).
Tu es esseulée — il est quelque chose que tu cherches toujours, toujours à atteindre, et que tu n’atteins jamais.
Sûrement quelque droit te fut dénié — il y a, dans ta fureur colossale et monotone, la voix d’un libertaire enfermé,
Un vaste cœur, comme celui d’une planète, s’irrite d’être enchaîné et se débat parmi ces lames ;
Et par cette houle qui s’allonge et ce spasme et ce souffle haletant.
Ce grattement rythmique de tes sables et de tes vagues.
Ces sifflements de serpent et ces sauvages éclats de rire.
Et ces murmures comme un rugissement de lion dans le lointain,
(Qui retentissent, jettent leur appel à la sourde oreille des cieux, mais qui à cette heure se trouvent en correspondance.
Car un fantôme dans la nuit est cette fois ton confident),
La confession première et ultime du globe,
S’enfle et déborde, murmure du fond des abîmes de ton âme.
Et c’est l’histoire de la passion cosmique élémentaire,
Que tu racontes à une âme parente.