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Forts et durs – Léon Degrelle

Forts et durs – Léon Degrelle

Le soleil est parti. Dans une demi-heure ce sera l’ombre.

Les oiseaux le devinent, qui chantent éperdument dans les jardins.

Il y a partout des roses, tellement gavées de lumière qu’elles vont mourir.

Le bois, déjà, dort autour de quelques toits de tuiles.

Et toujours les oiseaux recommencent à lancer leurs cris pointus et leurs implorations, sans doute pour les deux amoureux assis là-bas, rêveurs, avec un immense chapeau blanc sur leurs genoux…

Qui vit encore, à part ces oiseaux, ce chien qui aboie au bout du monde et que ces deux cœurs qui battent devant le calme de ce soir, lourd de la vibration de juin ?

Comment croire à la haine ? Les hommes n’ont donc jamais regardé les dernières roses s’éteindre dans le silence léger d’un soir ?

Il faudra s’arracher tout à l’heure à cette vaste mer champêtre.

Il faudra reprendre au bout des sentiers la route où les voitures arrachent le sol avec un crépitement de pluie tenace.

Il y aura des lumières brutales, des visages vidés, des yeux sans âmes.

Ce paysage du soir est si net, il se livre avec un don si total ! Ces roses mourantes, ces bouquets d’arbres, ces avoines aux ondoiements gris, ces sapins graves, sont si purs et si simples que toute une enfance remonte en nos êtres, près de cette enfance éternelle des herbes, des arbres et des fleurs.

On n’entend plus rien maintenant.

La nuit lisse les roses.

Les bois découpent leur liseré noir dans les lueurs mourantes. Le dernier oiseau qui chantait s’arrête lui aussi de temps en temps, comme pour écouter le silence. Les deux amoureux ont disparu, les mains tremblantes, le vent léger dans les cheveux.

Je devrai bien me redresser.

J’avancerai lentement, sans troubler les branchages et la vie immense qui se glisse à travers les ombres. Je devinerai le contour des choses. Je sentirai fleurir déjà au bout des herbes la rosée qui rafraîchira demain le soleil lorsqu’il aura gravi le sommet du bois.

Où est-elle la nuit des cœurs d’où rejaillirait le matin sensible ?

Il nous faudra renouer nos mélancolies, reprendre nos pas d’homme des champs et des bois perdu parmi les cœurs stériles.

Qui comprendra tout à l’heure, dans les lueurs brutales, devant nos yeux tremblants, que nous venons de quitter les forêts et les blés, l’ombre et le silence ?…

Mais pourquoi s’attendrir ? Au bout des sentiers nous guette la vie cruelle qui happe tout, à coups de dents de loup.

Ne regardons plus rien, ne pensons plus, ne respirons plus cet air chargé des parfums de mort passagère…

Éteignons tout. Laissons la nuit ronger les cœurs.

Demain, quand le jour rejoindra la crête des arbres, nous n’aurons plus devant nous que les horizons fermés des hommes.

Nous devrons être forts et durs, joyeux à travers tout du soleil de nos âmes.

Soir qui meurt, muet et si sûr de l’aube, donne-nous la paix des lumières qui renaissent après l’immense renouveau des nuits propices…

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