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Epitaphe – Leonardo Sinisgalli

Epitaphe – Leonardo Sinisgalli

Lorsque tu es partie, comme c’est notre usage,
on entassa dans le cercueil les petits objets que tu aimais.
On y plaça ton ombrelle,
car tu t’en allais dans un royaume torride
et on te vêtit de blanc.
Tu étais encore une petite fille,
une petite fille difficile à élever.
Mais tu fus accueillie avec une douceur résignée,
protégée, portée à la lumière
comme mûrit l’épi dans un champ épuisé.
Et moi, ma sœur, je me souviens de tes cris d’oiseau
quand tu t’enfermais pour pleurer dans la galerie
parce que tu voulais aller vivre sur le toit.
Tu n’étais heureuse qu’en te haussant un peu
au-dessus de la terre.
On mit dans le cercueil tes objets les plus chers,
même au creux de ta main une piécette d’or
pour le batelier qui t’accompagnerait
sur l’autre rive. Et nous, nous restâmes ici,
dans la grande maison que tu savais retourner comme un sac.
Pendant quelques jours personne n’eut envie de la
remettre en ordre.
Nous nous rassemblions autour de la cheminée en pensant à ton grand voyage,
à la tristesse de t’envoyer seule en pays inconnu.
La grand-mère était là-bas à nous attendre depuis des années.
Depuis des années aucun de nous n’avait été appelé.
Dans cette immense contrée, dans cette longue quarantaine,
comment avez-vous fait pour vous reconnaître ?

Nous t’avions mis dans le cercueil tes objets les plus chers,
ta petite ombrelle, ton peigne, un petit bouquet de fleurs.
Ma mère te suivait à chaque étape, de la maison
à l’église, de l’église au cimetière.
Elle donnait asile dans sa chambre à chaque papillon et tint pendant longtemps la maison ouverte
dans l’espoir de te voir revenir.

Un jour une femme vint frapper à la porte
nous dire qu’elle avait rêvé de toi.
La femme avait une enfant malade, ta compagne,
et tu l’avais visitée.
Tu parlais en rêve à cette femme, tu lui demandais quelque chose
qu’elle ne savait pas, qu’elle n’entendait pas en rêve,
et tu parlais et semblais demander une chose
qu’on avait oubliée dans le désarroi de la séparation.
Ma mère fouilla dans tes papiers,
elle resta longtemps à chercher tes cahiers l’un après l’autre.

Nous regardâmes pour la dernière fois,
ta tendre écriture, ton nom fragile
écrit de ta petite main.
On lia d’un ruban blanc tes cahiers
que nous avions oubliés. La petite fille te les porterait.
Nous les plaçâmes dans le cercueil
De la compagne que tu avais préférée.
Elle aussi s’en alla vêtue de blanc
Dans le royaume torride d’où personne n’est jamais retourné.

 

(Poème dédié à une soeur partie trop tôt)

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