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Du plein et du vide – Sun Tzu

Du plein et du vide – Sun Tzu

Sun Tse dit :

Avant le combat, une chose très essentielle, c’est de bien choisir le point de rassemblement de vos troupes. Pour ne pas y être devancé par l’ennemi, il faut agir avec diligence, être installé avant qu’il ait eu le temps de vous reconnaître, avant même qu’il ait appris votre marche pour vous y porter. Être le premier en place est à rechercher.

Le général ne doit s’en rapporter qu’à lui-même pour faire un choix de cette importance.

Outre la priorité d’occupation, un chef habile doit obtenir plus encore du choix qu’il effectue : être maître du rassemblement et de tous les mou­vements de ce dernier. Il n’attend pas que l’ennemi l’appelle : il le fait venir et, si vous, vous avez réussi à inciter l’ennemi à venir volontairement où vous voulez précisément qu’il aille, ne manquez pas de lui aplanir toutes les difficultés et de lever tous les obstacles qu’il pourrait rencontrer, de crainte qu’alarmé par les impossi­bilités qu’il suppute ou les inconvénients trop manifestes qu’il découvre, il renonce à son dessein. Vous en seriez ainsi pour votre travail et pour vos peines et peut‑être même aussi pour quelque chose de plus. La grande science est donc de lui faire vouloir tout ce que vous voulez qu’il fasse et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder.

Ayant ainsi disposé de votre point de rassem­blement et de celui de l’ennemi, patientez tran­quillement. afin que votre adversaire esquisse ses premiers mouvements ; mais, en attendant, efforcez-vous de l’affamer au milieu de l’abondance, de le tourmenter dans le sein du repos et de lui susciter mille inquiétudes dans le temps même où il devrait se trouver en pleine sécurité. Mais si l’ennemi ne répond pas à votre attente, qu’il reste inerte et ne paraît pas disposé à quitter sa zone de rassemblement, sortez vous‑même de la vôtre. Par votre mouvement, provoquez le sien, donnez-­lui de fréquentes alertes, faites‑lui naître l’occa­sion de quelque imprudence dont vous puissiez profiter.

S’il s’agit de garder, gardez avec force : soyez vigilant ; s’il s’agit d’aller, allez promptement, mais en sûreté, par des chemins tenus secrets. L’ennemi ne doit pas soupçonner dans quels lieux vous vous rendez. Sortez à l’improviste d’où il ne vous attend pas et tombez sur lui quand il y pensera le moins.

Lorsque, par marches et contremarches, vous aurez parcouru l’espace de mille li sans avoir couru le moindre dommage, sans même avoir été arrêté, vous pourrez conclure : ou bien que l’ennemi ignore vos desseins, ou qu’il a peur de vous, ou qu’il ne sait pas garder les positions qui peuvent avoir de la valeur pour lui. Ne tombez pas dans un pareil défaut.

Le grand art d’un général est de laisser toujours ignorer à l’ennemi le lieu où il aura à combattre et de lui dissimuler les positions qu’il fait préparer. S’il y parvient et réussit à cacher le moindre de ses mouvements, il n’est pas seulement un habile général, c’est un homme extraordinaire, un vrai prodige, car, sans être vu, il voit ; il entend sans être entendu ; il agit sans bruit et dispose à sa convenance du sort de ses ennemis.

En outre si, l’armée ennemie étant déployée, vous n’apercevez dans ses lignes aucune solution de continuité, ne tentez pas d’enfoncer le front adverse. Si, décampant ou faisant retraite, l’en­nemi opère avec diligence, marche en bon ordre, ne tentez pas de le poursuivre ; ou, si vous le pour­suivez, que ce ne soit jamais ni trop loin, ni en pays non reconnu. Quand votre intention est d’en­gager la bataille, si l’ennemi reste dans ses retran­chements, n’allez pas l’attaquer, surtout s’il est bien fortifié, couvert par de larges fossés ou de hautes murailles. De même si, n’estimant pas opportun de livrer le combat, vous voulez l’éviter, tenez‑vous derrière vos retranchements, prenez vos dispositions pour soutenir l’attaque et préparez les contre‑attaques utiles. Laissez alors l’ennemi se fatiguer, attendez qu’il soit en désordre ou en sécurité : vous pourrez alors contre‑attaquer avec avantage.

Veillez attentivement à ne jamais séparer les différents corps de votre armée. Toujours ils doivent pouvoir se prêter une aide réciproque. Au contraire, par vos diversions, faites que l’ennemi sépare ses éléments. S’il se partage en dix corps, que chacun de ceux‑ci soit attaqué par toute votre armée réunie : alors, toujours vous combattrez avec avantage. Ainsi, le grand nombre sera tou­jours de votre côté, quelque faible que soit votre armée. Or, toutes choses étant égales d’ailleurs, la victoire est ordinairement pour le plus grand nombre.

Que l’ennemi ne sache jamais comment vous avez l’intention de le combattre, ni la manière dont vous vous disposez à l’attaquer ou à vous défendre. Dans son ignorance, il multipliera les préparatifs, tâchera de se rendre fort partout, divisera ses forces : ce qui occasionnera sa perte.

Ne l’imitez pas : faites choix d’un secteur pour attaquer et mettez‑y la majeure partie de vos forces. Pour l’attaque de front, mettez en pre­mière ligne vos troupes d’élite, car on résiste rarement à un premier effort alors qu’on répare difficilement un échec de début. L’exemple des braves entraîne les timorés. Ceux‑ci suivent aisé­ment le chemin ouvert, alors qu’ils seraient inca­pables de le frayer. Si vous voulez faire effort à une aile, mettez‑y vos meilleures troupes et à l’autre ce qui est moins bon.

Il faut, en outre, connaître à fond le terrain où vous allez combattre, comme aussi le jour et l’heure où vous engagerez l’action : c’est un calcul qu’il ne faut pas négliger. Si l’ennemi est encore loin de vous, renseignez‑vous, jour par jour, de ses étapes ; immobile dans votre camp, suivez‑1e pas à pas. Vos yeux ne le voient pas, mais vous voyez tout ce qu’il fait ; vos oreilles ne l’entendent pas, mais vous écoutez les ordres qu’il donne ; ainsi, témoin de sa conduite, vous pénétrez dans le fond de son cœur pour y lire la crainte et l’espé­rance.

Instruit de ses plans, de ses marches et de ses manœuvres, chaque jour vous le verrez se rappro­cher du théâtre où vous voulez qu’il vienne. A ce moment, vous l’obligerez à marcher de telle sorte que la tête de ses troupes ne puisse recevoir de secours de la queue, que son aile droite ne puisse aider la gauche et vous le combattrez ainsi dans le temps et dans le lieu qui vous conviendront le mieux.

Aux approches du jour choisi pour la bataille, ne soyez ni trop loin, ni trop près de l’ennemi. Quelques li seulement, c’est le bon et dix li entiers sont le plus grand éloignement qu’il faudra laisser entre votre armée et la sienne.

Ne cherchez pas le nombre : la quantité est souvent plus nuisible qu’utile. Sous un bon géné­ral, une petite armée, bien disciplinée, est invin­cible. Les belles et nombreuses troupes du roi de Yee ne lui servirent de rien lorsque le roi de Oe avec de faibles effectifs le vainquit, ne lui laissant de sa principauté qu’un souvenir amer et la honte de l’avoir mal gouvernée.

Que votre petite armée n’ait pas, néanmoins, la présomption de se jeter, sans réflexion, sur une armée plus nombreuse. Jamais précautions ne furent plus nécessaires. Avec les connaissances dont j’ai parlé, le général discerne s’il doit prendre l’offensive ou rester sur la défensive, quand il convient de ne pas bouger et quand il faut se mettre en mouvement et, s’il est forcé de combat­tre, de la contenance de l’ennemi, il déduit s’il sera vainqueur ou vaincu. Avant donc d’attaquer, examinez scrupuleusement si vous avez mis toutes les chances de votre côté.

Au moment de déclencher l’action, lisez dans le regard de vos soldats, observez leurs premiers mouvements : de leur ardeur ou de leur noncha­lance, de leur intrépidité ou de leur hésitation, vous pourrez conclure au succès ou à la défaite. C’est un présage qui ne trompe pas que la conte­nance des troupes au moment de l’engagement. Tel qui a remporté une victoire décisive, eût été battu un jour plus tôt ou quelques heures plus tard.

Il en est des troupes comme d’une eau courante : la source élevée, la rivière coule rapidement ; basse, l’eau stagne ; si une cavité s’offre, l’eau la remplit dès qu’elle peut y accéder ; un trop‑plein se manifeste‑t‑il, le surplus s’écoule aussitôt. Ainsi, en parcourant le front, vous remplissez les vides et vous enlevez les excédents ; vous abaissez le trop haut et vous relevez le trop bas. Le ruisseau suit la pente du terrain sur lequel il coule : l’ar­mée doit s’adapter au terrain sur lequel elle se meut. Sans pente, l’eau ne peut couler ; mal commandées, les troupes ne peuvent vaincre : c’est le général qui décide de tout. Son habileté lui fait tirer parti de toutes les circonstances, même les plus dangereuses et les plus critiques. Il fait prendre à son armée les dispositions qu’il veut ainsi qu’à celle de l’ennemi. Il n’y a pas de qualités permanentes qui rendent les troupes invincibles et les plus médiocres soldats peuvent devenir d’excellents guerriers : C’est pourquoi il ne faut laisser échapper aucune occasion favorable. Les cinq éléments ne sont ni partout, ni tou­jours également purs ; les quatre saisons ne se succèdent pas, chaque année, de la même manière, le soleil ne se lève et ne se couche pas tous les jours au même point de l’horizon ; la lune a diffé­rentes phases. Une armée bien commandée et bien disciplinée présente aussi ces variétés.

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