Don Juan – André Frédérique
J’ai connu la décervelée d’Etampes
qui savait compter jusqu’à trois
la borgne de Paimpol
et la boiteuse de Pithiviers
qui a renoncé à la marche à pied
la bleue du Chili
qui déteint à l’eau de pluie
j’ai eu la femme tire-lire
la femme tronc la femme chien
la femme aux mains d’ébène
la femme en fer qui ne rouille pas
Lolita perroquet des îles
moitié oiseau moitié renard
la femme pendule
qui mourut par la femme canon
de sa bouche issaient les obus
qui renversèrent notre amour.
la reine de Broadway
avec ses deux bouches peintes
l’orthopédiste aux dents d’alcool
qui crachait des fleurs de néant
l’amazone hagarde
qui traverse vingt centimètres de plomb
la femme aux yeux de porcelaine
qui pleurait des perles du Japon
l’aveugle aux yeux de marcassite
femme combien vous défilâtes
a mon gré
femme poisson aux seins coupés
femme aux seins superposés
femme aux seins remplacés
par des poignées
combien je vis des exotiques
et vous presque femmes
animaux équivoques
marchant dans vos traînes fragiles
sur des sabots d’argent
la salée du Portugal
dont la bouche est un mien
mais qui pique au réveil
la fripée de Rotterdam
qui sait si bien se cacher
sous les draps
qu’on la cherche dans les plis
la calcinée de Draguignan
qui brûle tous les plastrons
quand on l’embrasse
l’explosive des Dolomites
qui ne sert
qu’à vous réveiller en sursaut
l’orpheline perpétuelle du Canada
qui enterre sa mère tous les jeudis
la femme aux crochets
et la femme viande abattue
qui pourrit dans votre lit
si on ne lui donne pas d’argent
la créancière la marginale
la petite sœur des morts
la noyée
des mers des mares et des bassins
la hollandaise flottante
la retournable
la fiduciaire
la en vrac
l’écorchée de Bagdad
la moribonde
la Souabe
la Souasse
mais c’est toi que j’aime
ô la suivante.