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Décalques – Birago Diop

Décalques – Birago Diop

Le jour où l’Hélicon m’entendra sermonner,
Mon premier point sera qu’il faut déraisonner.
A. DE MUSSET

I

L’incube ira embrasser les icônes
Et la galène émettra d’autres airs,
Des cantiques rampant comme des vers
S’élanceront du haut d’autres pylônes.

L’homogène neutre aux regards atones
Se disloquera multiple et divers
Dans les veines du rhéostat pervers
Où sont doubles les pensées insochrones.

L’infra du spectre étalé sur l’iris
Qui tressaille, roule puis se dilate
En scandant le rythme d’un pas de vis.

La capsule brûle et la bombe éclate
Peureux l’Ibis se tient sur une patte
Puis frénétiquement réclame : bis.

II

Comme un pâtre qui souffle dans sa syringe
Le doute s’étourdit au fond de mon cœur,
Et je succombe sous le poids de l’erreur
N’ayant pu saisir le secret de la sphynge.

Sur le froid billard j’étalerai un linge,
Et, le scapel crachant sa triste lueur,
Pour avoir les cendres du cafard vainqueur,
Tranquille, je disséquerai mes méninges.

Comme des feuilles mortes craquent mes os,
J’ai saisi ma raison double au bout d’une pince ;
J’interroge, mais la Folle ne dit mot.

Dans le brûle-parfum le soufre qui grince
S’étire en volute mauve et tord le cou
Aux lemmes subtiles d’un vieillard fou.

III

 

Je noircirai tes blanches dents au béthel
Pour tirer du piano d’autres arpèges.
Nous arrêterons l’actuel présent tel
Pour que ne se dissipent les sortilèges.

Du sang des victimes sur le champ mortel
Nous mettrons du rouge sur toute la neige ;
Nous nous acheminerons vers l’autre Babel
Derrière l’interminable cortège.

Le chant du soir montera triste et plaintif
Pareil à d’imperceptibles cantilènes.

Pour guider au hâvre le frêle esquif,
Chaque jour nous monterons sans perdre haleine

En drapant dans un large manteau de laine
Le cadavre craquant rigide et chétif.

IV

Quel bedeau saoul martèle ce carillon
Qui heurte en tintant au coin de ma cervelle ?
Quel sacristain amoureux de la bedelle
Jette mon faible crâne en ce tourbillon ?

Quand, stylet acéré, le cri du grillon
Se rive et perce au centre de la prunelle
La peur qui frissonne craintive et charnelle,
Rampe esclave à l’approche du goupillon.

L’air vicié s’infecte de vos râles
Qui montent spasmodiques vers les ciels pâles
Amoureuses chèvres ce soir en rut.

L’enfant m’a regardé de ses yeux d’opale,
Et quand nous sommes arrivés au but,
D’une voix douce, l’enfant a dit : Zut !

V

La note figée au-dessus du Théorbe
Danse sur la portée où bémolise un Si,
Les doigts sont souillés des larmes de l’Euphorbe
Qu’encore tètent des nourrissons sans souci.

Toute logique a voulu rompre son orbe
Quand l’apocalypse a dit : « Je m’éclaircis ».
Mais la substance grise qui se résorbe
A ordonné : « La sortie est par ici ».

Spasmes d’esprit que l’Incohérence effleure
Les mouvements halètent alternatifs
Le long du court-circuit de l’infécond leurre.

L’éponge engloutit un précipité d’heure
Et rejette une perle à l’éclat hâtif
Rythmant l’envol d’un théorème rétif.

VI

Ensorceleur le charme s’était rompu
Quand soudain se sont tus les chants des sirènes,
Et se figeant sur le masque des silènes
Le rire du monstre s’endormit repu.

La statue a bougé quand elle a relu
Que sa haquenée avait brisé les rênes ;
L’amazone amoureuse sentit ses veines
Se tordre entre les doigts du temps révolu.

Dans le désert mornement inlassable
Les pèlerins ont tracé sur le sable
Leurs pas malhabiles, traînants, incertains…

Les larmes en cheyant le lundi matin
Sur l’immense tapis aux dessins mal teints
Rongent jusqu’au cœur les pieds de la table.

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