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De derrière ce masque – Walt Whitman

De derrière ce masque – Walt Whitman

(Pour faire face à un portrait)

I

De derrière ce masque incliné aux traits rudes.
Ces lumières et ces ombres, ce drame du tout,
Ce rideau commun du visage, contenu en moi pour moi-même, en vous pour vous-même, en chacun pour lui-même.
(Tragédies, douleurs, rires, larmes — ô cieux !
Les drames passionnés et débordants que cache ce rideau !)
Cette surface lisse et brillante comme le plus pur et le plus serein ciel de Dieu,
Cette pellicule recouvrant un gouffre satanique en ébullition,
Cette carte géographique du cœur, ce continent minuscule et sans bornes, cet insondable océan ;
Du fond des circonvolutions de ce globe,
Cet orbe astronomique plus subtil que le soleil ou la lune, que Jupiter, Vénus ou Mars,
Cette condensation de l’univers, (bien plus, c’est ici le seul univers,
C’est ici l’idée, enveloppés tout entiers en cette mystique parcelle de chair) ;
Du fond de ces yeux burinés, — dardant vers vous son éclair pour passer de là aux temps futurs,
Pour s’élancer et tourner, furtif, à travers les espaces, — jailli de ces yeux-là,
A vous, qui que vous soyez, j’adresse un regard.

II

Voyageur ayant traversé les pensées et les ans, la paix et la guerre,
La jeunesse, depuis longtemps enfuie, et l’âge mûr qui décline,
(Tel le premier volume, lu et mis de côté, d’un roman, puis le second,
Chants, hypothèses, spéculations, qui tôt s’achèvera),
Tardant un moment ici, je me tourne pour vous faire face.
Comme sur une route ou par l’huis de quelque fissure fortuite ou par une fenêtre ouverte.
Je m’arrête, je m’incline et me découvre, je vous salue, vous particulièrement.
Pour attirer votre âme et la nouer à la mienne inséparablement, cette fois.
Et poursuivre ensuite mon voyage.

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