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Cycle Soleil noir – Aco Sopov

Cycle Soleil noir – Aco Sopov

Soleil noir

I.

Soleil noir sans levant ni couchant,
sans ciel à prier, ni terre à prendre.

Qui désire s’abreuver à ton éclat
est exilé de la géhenne, exilé de l’Éden.

Les herbes s’agenouillent, les arbres courent pieds nus
devant ta fleur en flamme porteuse de cendres noires.

Soleil noir, oiseau déguisé en astre,
qui croit t’avoir saisi ne sait pas ce qu’est l’abîme.

Soleil noir, noir, sans levant ni couchant,
soleil noir pour assoiffés qui accostent le rivage.

II.

De quel pays inconnu, comment viens-tu
ô soleil noir, oiseau qui picore l’arbre vivant ?

Quel sorcier t’a envoyé, par quels pouvoirs secrets,
arc-en-ciel dessus trois cents Volga et trois cents Nil ?

D’où vient ce baudrier céleste, ruban chamarré
entre les galaxies obscures et nos deux univers ?

Est-ce ma douleur avant même la souffrance,
avant même de te voir dressé comme barricade astrale ?

Ô soleil noir, qui donc te pose sur mes épaules
pour que je te porte, poème, à la place de ma tête ?

III.

Où me mènes-tu à présent, quel antre sourd
saura garder tous nos secrets ?

Les étoiles nous regardent, mais les étoiles sont aveugles.
Le monde n’a plus que nous, deux étocs confondus.

Mais qui donc nous guette, quel est cet architecte
qui nous emmure vivants dans une pyramide morte ?

Ô poème, terre, femme, ô vie et mort à la fois,
aujourd’hui je boirai tout ce que tu m’offres.

Soleil noir, sans levant, ni couchant.
En vain je t’adresse une prière guerrière.

Soleil noir encore

De quel royaume fabuleux, de quel tombeau splendide
qui au soir t’accueille et au matin te chasse,
viens-tu déverser, soleil noir, de noires pluies
comme une menace ultime lancée au monde ?

Qu’est-ce donc ? Guerre de fauve contre fauve,
de branche contre branche, d’arbre contre arbre, de racine
contre racines sauvages, étoile filante qui, de son feu, déchire le ciel,
guerre du ciel contre la terre, guerre des morts contre les vivants ?

Quel est ce royaume fabuleux, ce tombeau du vent,
où un monstre à trois têtes nous jette trois terribles regards,
en ce lieu du crime, des eaux déchaînées, des eaux sèches,
dans cette terre noire qui tient dans une main ?

Quelle est cette terre que nous nommons de notre nom
recopié de toutes les citadelles, de tous les abîmes,
de toutes les cimes ? Soleil noir, noir en toute saison,
nous sommes ici, tous deux couverts de feuilles désoleillées.

Soleil noir toujours

Ici tout te ressemble à mort.
Le goudron répandu sur les monts.
Le filet de résine
qui court le long des gorges sèches.
La tristesse du chien qui geint dans les faubourgs,
elle aussi, te ressemble à mort.

Et ce récif cerné d’eau,
eau abandonnée telle une femme
dans les bras de celui qui paiera de sa vie
sa soif indomptée.
Et ce mauve avare, proche et intouchable.
Et ce récif cerné.

Et ces vignes et ces vignes vierges. Et ces vins
débordant d’incandescence, d’ardeur, d’embrasement.
Et la sécheresse.
Et la pierre à l’âme pétrifiée.
Et nos trois fils, soleil noir, nos trois fils
assoiffés parmi les vignes, les vignes vierges et les vins.

Et ce clocher dans la dense coudraie,
priant, blasphémant.
Gémissant blessé.
Et tous ceux qui cherchent repos et guérison.
Et tous les saints sur les fresques aux yeux crevés.
Et ce clocher dans la dense coudraie.

Ici tout te ressemble à mort.
Le goudron répandu sur les collines.
La résine.
Et par-dessus, la constellation du Grand Char.
Jusqu’au chien qui geint par les faubourgs,
jusqu’à sa tristesse te ressemble…

Et cette terre tumultueuse mais claire.
Et la sécheresse. Et l’embrasement.
Et l’angoisse.
Et mes trois blessures – trois paroles jamais dites.

Ô soleil noir, feu de fin d’automne
nous baignons dans la lueur d’une étoile déjà morte.

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