Chansons – Frédéric Nietzsche
I
Mon cœur est vaste comme une mer,
ton visage y sourit baigné de soleil,
en profonde, douce solitude,
où délicatement vague sur vague se brise.
Est-ce la nuit? Est-ce le jour ?
Je ne sais.
Mais ton visage baigné de soleil me sourit, si charmant et si doux,
et je suis heureux comme un enfant.
II
C’est le vent à minuit
qui frappe à ma fenêtre.
C’est l’averse tendre,
qui tombe goutte à goutte délicate à mon toit.
C’est le rêve de mon bonheur,
qui passe sur mon cœur
caressant comme le vent.
C’est l’haleine de ton regard
qui passe sur mon cœur comme un baume de pluie.
III
Dans la solitude j’aperçois d’aveuglants éclairs
qui, traversant le bleu ténébreux du ciel nocturne,
jaillissent des sourcils sombrement voûtés,
d’ondoyantes nuées.
Dans la solitude, flamboie au loin le tronc des pins
aux flancs vaporeux de la montagne.
Plus loin, environnée de rouge clarté,
la pâle fumée fuit vers le bois.
Dans les lueurs d’un ciel lointain
ruisselle la pluie délicate et sans bruit,
triste et lugubre à sa façon.
En tes yeux mouillés de larmes,
se prolonge un regard,
qui douloureusement, d’un chagrin cordialement dissipé de toi et moi,
d’heures disparues et d’un bonheur enfui,
a rappelé le souvenir commun.
IV
Aux heures paisibles je pense souvent à ce qui avec tant d’attrait m’angoisse et m’effraie,
quand, inattendu, à mon insu, un doux rêve s’étend sur moi.
Je ne sais ce qu’ici je pense et je rêve, je ne sais ce qu’il me reste à vivre ;
— et pourtant quand je suis ainsi ravi, le cœur me bat avec un tel désir.