Beata solitudo – Léon Degrelle
La compagnie n’est, la plupart du temps, que de l’agitation, du bruit, du trouble autour de sa propre solitude.
Rechercher sans cesse ce que l’on appelle l’animation, c’est avoir peur de se trouver en présence de soi-même. C’est, en réalité, prendre, moralement, la fuite.
Comment peut-on confondre la joie et le fait d’être mêlé sans cesse à la cohue tumultueuse ?
Pourquoi doit-on absolument être englouti parmi d’autres êtres pour se croire heureux ?
On n’est en contact alors qu’avec l’écorce des autres, on ne jouit que de leurs attitudes artificielles ou superficielles.
Cela peut donner évidemment de la distraction, un plaisir passager, une espèce de bouffée de vent.
Mais quelle marge entre ce « plaisir » sans profondeur et la joie profonde, essentielle, de la conversation avec soi-même, de l’analyse de ses pensées intimes et de sa sensibilité la plus secrète !
Là on voit tout, on va jusqu’au fond de tout.
Nier la puissance, l’ampleur de cette vraie joie, c’est nier la vie intérieure.
La solitude est pour l’âme une occasion magnifique de se connaître, de se surveiller, de se former.
Seules les têtes vides ou les coeurs inconstants ont peur de demeurer, dans le silence, en face d’eux-mêmes.
C’est à des moments pareils qu’on voit si les sentiments sont solides ou s’ils n’étaient que du bruit.
Les hauts sentiments peuvent vivre seuls, sans présence physique ; au contraire l’isolement les purifie et les grandit.
La joie, la joie qui s’étend comme un bloc de granit sous l’eau de la vie qui coule, celle-là qui
n’abandonne et ne déçoit jamais réside dans la lutte intérieure, dans l’exaltation intérieure : se
surveiller, se dominer, se purifier, s’élever, avoir le courage de penser.
Car il est tellement simple d’être paresseux ou lâche devant le travail spirituel !
Avoir l’énergie d’élargir ses champs secrets ! Aimer intensément, c’est-à-dire se donner silencieusement, sans réticences !
On préfère oublier ou nier que ces joies fondamentales existent, pour se contenter de jouissances immédiates qu’on croit supérieures à tout, et après lesquelles on n’a rien, bien souvent, sinon de la poussière au cœur et des flétrissures aux ailes.
Les mystiques ont connu cet effort constant de la vie intérieure.
Etaient-ils moins heureux, ont-ils eu moins de joie que nous qui jacassons, mêlés à des visages où nous ne découvrons que des apparences, nourris de paroles qui meurent avec l’écho ?
La joie des mystiques n’est qu’un exemple.
La même joie intérieure existe aux autres stades de la spiritualité et de la sensibilité.
La présence corporelle n’est même pas du tout indispensable.
On peut parfaitement aimer, être possédés par les joies les plus hautes du cœur dans l’éloignement physique et même dans la mort.
Tant qu’on ne s’est pas une bonne fois dégagé des éléments extérieurs, tant qu’on n’a pas été capable de vivre seul c’est-à-dire dans la compagnie la plus réelle, que rien ne trouble, on n’a pas encore atteint le seuil même de la joie.
Au lieu de se plaindre de la solitude, il faut la bénir, il faut profiter de cette possibilité inespérée de s’examiner en silence et de se dominer lucidement, totalement, jusque dans ses pensées les plus contradictoires.
Portes fermés au monde ? Rupture délibérée de contact avec l’extérieur ?
Tant mieux !
Car cela signifie, si on le veut : portes ouvertes sur l’âme, contact exact avec son moi ; joies exaltantes de la connaissance, de l’épanouissement spirituel et, mystiquement, du don le plus délicat et le plus complet.