Avoir mal aimé – Léon Degrelle
Dans le ciel glacé, d’un or pâle, frémissait une alouette.
A quoi pensait-elle là-haut ?
Elle vibrait, elle poussait des cris stridents, pâmée à chaque seconde, s’accrochant au ciel par un battement d’ailes qui passait comme un éclair.
Elle aimait pour aimer, jusqu’au moment où rompue, brisée de bonheur, elle s’abattit comme un caillou dans un sillon.
L’âme monte ainsi en flèche.
Elle crie d’amour. Elle ne reste suspendue dans l’immensité mystique que par le prodige d’ailes invisibles qui la soutiennent.
Elle ne sait même plus qu’elle peut tomber, que le sol est sous elle ; elle est là, détachée de tout, vie frémissante, palpitante, comme aspirée !
L’alouette pâmée sur la terre chaude doit, elle aussi, ressentir cette grande joie de l’amour comblé.
L’âme est pantelante. Mais tout cet amour revient encore en vagues dans l’être rompu par l’effort, le don et la joie.
Le grand drame du péché, ce qui fait tellement souffrir, c’est qu’à cause de lui on donnera moins désormais, ou on donnera mal, ne pouvant plus offrir que des restes, des restes flétris, aux relents de souillure indélébile.
Or aimer c’est donner. Et donner c’est tout donner.
Le châtiment de la chute, c’est la douleur d’avoir piétiné son amour, d’avoir réduit les possibilités futures de bien aimer.
On voudrait alors arracher son corps, ses mains, ses yeux, les forces qui palpitèrent en soi aux heures de faiblesse ou d’abjection.
Trop tard : on a mal aimé.
On voudrait pleurer toutes ses larmes. On aura beau faire, on ne reprendra plus ce qui fut gâché. Le jour de la chute, malgré le repentir et la rémission, restera le trou noir dans lequel des biens indicibles sombrèrent pour toujours.
On pourra aimer, par la suite, aussi ardemment qu’on le voudra, on ne recréera pas la pureté
disparue ni la plus belle part d’amour qui fut alors annihilée. Cet amour aurait pu venir en plus.
Ce qu’on essaiera d’offrir encore à l’heure où l’Amour véritable surgira, portera, quoiqu’on fasse, la terrible marque.
C’est pour cela qu’avoir profané son don de soi fait souffrir jusqu’à la fin de la vie le cœur qui a la nostalgie de l’Absolu.
On voudrait être Dieu soi-même pour reprendre ce jour ou ces temps, leur rendre la fraîcheur de l’aube et les garder contre son cœur avec crainte jusqu’à la nuit…
Dès le premier accroc, nous savons que nous n’aimerons plus jamais autant que nous aurions pu le faire. Et c’est ce qui rend si déchirant – parce que sans solution humaine – le repentir.
Quand on a connu cette douleur de l’irréparable, on voudrait dépasser les possibilités de son cœur, pour que quelques étoiles d’amour, arrachées au maximum, puissent compenser ce qui tomba dans les marais et dans les ombres.
Sans doute est-ce cela que donne le baiser de l’agonie : la paix, la paix qui met fin aux regrets, au désespoir d’avoir mal aimé, d’avoir trop peu aimé, ou d’avoir sali et profané l’amour que nous avions pourtant rêvé d’abord de donner avec un cœur vif et un corps frais, et que nous laissâmes rouler dans la boue des abîmes…