Avis de décès – Gertrud Kolmar
Je vais mourir, comme meurent la plupart ;
le râteau passera au travers de cette vie
et mettra en copeaux mon nom dans la glèbe.
je deviendrai légère et calme et sans héritage
et avec des yeux fatigués je verrai des nuages dénudés,
la tête ainsi se penche, ainsi les bras s’étirent
et être mort, tout à fait trépassé, un rien.
et les mendiants s’accrochent encore au bâton de marche
comme à une baguette magique, se tiennent aux coins des rues,
dans le chapeau vide l’or du couchant,
que leurs maigres doigts ne peuvent retenir,
que le marchand ne veut point échanger contre des pommes de terre.
Mais moi je gis repue et au chaud dans le froid,
et colère et rancune et joie dans les replis des mains
deviennent mer, d’où murmure le grand coquillage…
Je fus. Et poussière je serai, les pieds qui trépignent.
Je le sais. Vous. Vous mourrez longuement et soyeusement.
Les épiciers comptent et les fous gigotent ;
vous attendez en vous taisant sous la lampe rouge
si doux et impitoyable comme la douleur,
Le bras fermement replié sur la charrette du bourreau,
et l’un fait rayonner le couteau dans la poitrine.
alors les voleurs raflent, alors les fous fouettent,
et je suis poussière, dont les milliers de pieds tapent,
je suis – et pourtant j’ai tout su de vous.
Et j’ai porté vers vous ce visage ;
c’était le faible miroir, celui qui vous a capturé,
celui qui fait irruption, qui aveugle et qui brise.
Hélas moi. que suis-je dans vos jours éternels
d’autre qu’un regard, qu’un grain de sable, coulant et insignifiant ?
La molle terre arable, que vous pétrissez
et que vous obligez avec des mains dures à prendre forme.
Vous. Celle que vous sortez gravement de vos niches,
que savez-vous des cœurs, qui vous supplient,
quoi des bouches, qui chantent votre gloire ?