Alcools – Louis Brauquier
Lumière des cocktails qui nous vint d’Amérique !
Phares des soirs pervers !
Dans la glace du bar, une fille tragique
Qui sent le vétiver,
L’amour et puis aussi la peau moite et la fièvre
Des sexes haletants,
Met une rouge fleur contre sa pâle lèvre
Au rire inquiétant.
Pourpres des curaçaos, les blondeurs électriques
Vous font étinceler,
Whisky des Outre-Mer, rhums de la Martinique,
Rire des négriers,
Oubli dans la couleur. Le violoniste blême
Qui joue du Meyerbeer,
Conduit la danse où s’alimente le poème
Ou bien le fait divers.
Dans mon verre ce soir, doucement tutélaire,
Qu’est-ce que ce reflet ?
C’est Lélian qui boit et qui fait sa prière
Avant d’aller pêcher.
Dans l’alambic d’angoisse et la froide cornue
Où le distillateur
Fait bouillir les ferments, comme de vieilles grues
Aux regains de verdeur,
Passent le rire fou et le rire macabre
Le crime et la douleur.
Mais la jeunesse en moi se révolte et se cabre,
Assez de ces senteurs
De musc et de tabacs ; chasseur, ouvre la porte !
Je veux vivre, je veux
Que la nuit soit ce soir pure comme une morte
Qui rouvrirait les yeux.
Le Vieux-Port étoilé balance ses mâtures,
Comme s’il respirait ;
Viens renaître à l’odeur salée des aventures,
L’eau caresse le quai.
La lune sur la mer est blanche comme une île,
Les voiles sont carguées,
Et les bars flamboyants font au ciel de la ville
Des lueurs de bûchers.