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Zarafa – Rémi Bezançon

Zarafa – Rémi Bezançon

Dans le paysage de l’animation française, « Zarafa » (2012) se distingue par son alliance unique entre aventure exotique, sensibilité historique et beauté graphique traditionnelle. Co-réalisé par Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie, ce long-métrage inspiré d’une histoire vraie offre une expérience cinématographique à la fois divertissante et touchante qui mérite d’être découverte par tous les publics. Exploration de la vision créative et du talent narratif qui font la singularité de cette œuvre attachante.

Une histoire inspirée d’un fait historique méconnu

« Zarafa » s’inspire librement d’un événement réel : en 1827, le pacha d’Égypte Méhémet Ali offrit une girafe au roi de France Charles X, premier spécimen de l’espèce à fouler le sol européen depuis des siècles. Cette girafe, nommée Zarafa (qui signifie « girafe » en arabe), traversa la Méditerranée et remonta la France à pied, suscitant l’émerveillement des populations sur son passage, avant de s’installer au Jardin des Plantes à Paris.

À partir de cette anecdote historique, Rémi Bezançon et son co-scénariste Alexander Abela ont tissé un récit d’aventures riche en émotions et en rebondissements. Le film commence dans un village africain où un vieux sage raconte à un groupe d’enfants l’histoire de Maki, un jeune garçon qui s’échappe de l’esclavage et se lie d’amitié avec Zarafa, une girafe orpheline. Lorsque Hassan, un marchand bédouin, est chargé d’amener Zarafa en France comme cadeau diplomatique, Maki décide de suivre l’animal auquel il s’est attaché, entamant ainsi un périple extraordinaire à travers les continents.

Une animation traditionnelle d’une grande beauté

À contre-courant de la domination de l’animation 3D numérique, « Zarafa » fait le choix audacieux du dessin animé traditionnel en 2D. Ce parti pris esthétique n’est pas qu’une question de nostalgie : il confère au film une chaleur, une expressivité et une poésie visuelle parfaitement adaptées à son récit d’époque.

Dirigée par Jean-Christophe Lie (ancien animateur chez Disney et sur « Kirikou »), l’animation se caractérise par un trait épuré mais expressif, des décors somptueux et une attention particulière aux jeux de lumière. Les paysages d’Afrique, avec leurs savanes dorées et leurs ciels immenses, les scènes en montgolfière survolant la Méditerranée, ou encore les séquences hivernales dans les Alpes témoignent d’un sens aigu de la composition et d’une sensibilité particulière aux atmosphères.

La palette chromatique évolue subtilement au fil du voyage : des ocres et jaunes chaleureux de l’Afrique aux bleus de la Méditerranée, puis aux gris et blancs de l’Europe hivernale, traduisant visuellement le dépaysement progressif des protagonistes. Ce traitement des couleurs ne se contente pas d’être esthétique ; il devient un véritable langage visuel qui accompagne l’évolution émotionnelle de l’histoire.

Des personnages attachants et nuancés

La force de « Zarafa » réside également dans la richesse psychologique de ses personnages. Loin des archétypes simplistes, chaque protagoniste présente une complexité et une évolution qui enrichissent considérablement le récit :

  • Maki, le jeune héros, n’est pas qu’un enfant courageux ; son parcours illustre un cheminement de la naïveté à la maturité, de l’impulsivité à la sagesse
  • Hassan, le marchand bédouin, dépasse le stéréotype oriental pour devenir une figure paternelle ambiguë, partagée entre sa mission et son attachement croissant pour Maki
  • Malaterre, l’aéronaute français excentrique, cache sous son apparente folie une profonde humanité et une conscience politique progressive
  • Les vaches Mounh et Sounh apportent une touche d’humour philosophique, à travers leurs dialogues inspirés des « buddy movies »
  • Moreno, le marchand d’esclaves, incarne un antagoniste complexe dont la cruauté s’enracine dans un système économique et social plus vaste que sa seule personne

Même Zarafa, bien que ne parlant pas, possède une personnalité distincte et touchante qui se révèle dans son langage corporel et ses interactions avec les humains.

Une réflexion historique accessible

L’un des tours de force de Rémi Bezançon est d’avoir intégré dans un film d’animation familial des thématiques historiques complexes comme l’esclavage, le colonialisme et les relations diplomatiques entre l’Orient et l’Occident. Sans jamais tomber dans le didactisme pesant ni dans l’anachronisme moral, « Zarafa » aborde ces sujets difficiles à hauteur d’enfant, à travers le regard naïf mais perspicace de Maki.

Le film ne simplifie pas les réalités historiques : il montre la complicité de certains royaumes africains dans la traite négrière, la complexité des relations entre l’Égypte et la France, et l’ambivalence du regard occidental sur l’Afrique, mêlant fascination exotique et mépris colonialiste. Cette honnêteté historique, rare dans le cinéma d’animation pour enfants, constitue l’une des grandes richesses de l’œuvre.

La séquence finale au Jardin des Plantes, où Zarafa est exhibée comme une curiosité exotique, cristallise admirablement cette ambivalence : elle montre à la fois l’émerveillement légitime devant la découverte d’une espèce inconnue et la violence symbolique de cette exhibition qui réduit l’animal (et par extension, le continent africain) à un objet de spectacle.

Une aventure initiatique universelle

Au-delà de son contexte historique, « Zarafa » développe un récit initiatique dont les thèmes résonnent universellement. Le voyage de Maki représente un cheminement vers la liberté, non seulement physique (échapper à l’esclavage) mais aussi intérieure (trouver sa place dans le monde, faire ses propres choix).

L’amitié entre l’enfant et la girafe, au cœur du film, explore la connexion profonde qui peut exister entre l’humain et l’animal, au-delà des barrières d’espèce. Cette relation, empreinte de tendresse et de loyauté mutuelle, rappelle les grands classiques de la littérature jeunesse comme « L’Histoire sans fin » ou « Le Petit Prince ».

Le film aborde également le thème du déracinement et de l’adaptation à un monde inconnu. Maki comme Zarafa sont arrachés à leur terre natale et doivent naviguer dans des environnements étrangers, faisant écho à l’expérience universelle du déplacement et de l’exil.

Une œuvre accessible à tous les publics

« Zarafa » réussit le défi de s’adresser simultanément à différentes tranches d’âge sans jamais compromettre sa cohérence narrative :

  • Les enfants sont captivés par l’aventure, les péripéties spectaculaires et la relation touchante entre Maki et Zarafa
  • Les adolescents peuvent s’identifier au parcours initiatique du jeune héros et à sa quête d’indépendance
  • Les adultes apprécient la profondeur historique, les subtilités psychologiques des personnages et la beauté formelle de l’animation

Cette multiplicité des niveaux de lecture garantit une expérience familiale partagée, où chacun trouve matière à s’émouvoir et à réfléchir.

Le génie créatif de Rémi Bezançon

Rémi Bezançon, initialement connu pour ses films en prises de vues réelles comme « Le Premier Jour du reste de ta vie », démontre avec « Zarafa » sa polyvalence créative et sa capacité à s’approprier le médium de l’animation pour en exploiter toutes les possibilités narratives et esthétiques.

Son génie réside dans sa capacité à marier divertissement et profondeur, à aborder des sujets historiques complexes sans sacrifier le plaisir du récit d’aventures. Bezançon parvient à trouver le ton juste : ni trop léger au point de trivialiser des thèmes graves comme l’esclavage, ni trop solennel au point de perdre la magie propre au conte.

La structure narrative du film, avec son récit enchâssé raconté par un vieux sage à des enfants, s’inscrit dans la grande tradition de la transmission orale africaine. Ce choix permet d’intégrer naturellement une dimension réflexive sur l’importance des histoires comme vecteurs de mémoire et d’identité culturelle.

La collaboration avec Jean-Christophe Lie, issu du monde de l’animation traditionnelle, a permis de traduire visuellement cette vision avec une cohérence et une beauté remarquables. Leur travail conjoint illustre parfaitement la synergie entre la sensibilité narrative de Bezançon et la maîtrise technique de Lie.

Une œuvre qui transcende les frontières

« Zarafa » s’inscrit dans une tradition d’animation française de qualité, aux côtés d’œuvres comme « Kirikou » de Michel Ocelot ou « Ernest et Célestine » de Benjamin Renner. Comme ces films, il propose une alternative à l’hégémonie des productions américaines, avec une sensibilité européenne et une approche plus artisanale de l’animation.

Le film a connu un succès d’estime à sa sortie, remportant plusieurs prix dans des festivals internationaux et touchant un public familial important en France. Sa portée transculturelle lui a également permis de voyager au-delà des frontières françaises, établissant des ponts entre différentes traditions cinématographiques.

En abordant l’histoire commune entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe, « Zarafa » contribue à une réflexion nécessaire sur les héritages partagés et les relations interculturelles, particulièrement pertinente dans notre monde contemporain.

Conclusion

« Zarafa » est une œuvre d’animation remarquable qui allie avec brio divertissement, beauté visuelle et profondeur thématique. En s’inspirant d’un fait historique méconnu, Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie ont créé un conte moderne qui parle d’amitié, de liberté et de découverte de l’autre.

La beauté de son animation traditionnelle, la richesse psychologique de ses personnages et son approche nuancée de l’histoire en font une expérience cinématographique complète, capable de séduire et d’émouvoir des spectateurs de tous âges.

À travers le périple extraordinaire d’un petit garçon et d’une girafe, le film nous invite à réfléchir sur notre rapport à l’altérité, qu’elle soit animale, culturelle ou sociale. Il nous rappelle que derrière les relations diplomatiques et les enjeux géopolitiques se cachent des histoires profondément humaines, des rencontres improbables qui peuvent changer des destins.

Pour les enfants comme pour les adultes, « Zarafa » constitue une invitation au voyage, à l’émerveillement et à une réflexion douce sur notre histoire partagée. Sa poésie visuelle, son récit captivant et sa sensibilité humaniste en font une œuvre à découvrir et à partager, un trésor de l’animation française contemporaine.

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