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Mune, le gardien de la lune – Benoît Philippon

Mune, le gardien de la lune – Benoît Philippon

Dans le paysage de l’animation française contemporaine, « Mune, le gardien de la lune » (2015) se distingue comme une œuvre d’une beauté visuelle saisissante et d’une richesse imaginative exceptionnelle. Co-réalisé par Benoît Philippon (également scénariste) et Alexandre Heboyan, ce long-métrage offre une expérience cinématographique envoûtante qui, malgré sa relative discrétion lors de sa sortie, mérite amplement d’être découvert par tous les publics. Plongée dans l’univers féerique et la vision créative qui font la singularité de cette pépite animée.

Un monde imaginaire d’une cohérence fascinante

« Mune, le gardien de la lune » nous transporte dans un univers fantastique où le soleil et la lune ne sont pas des astres célestes, mais des entités manipulées par des gardiens. Depuis des millénaires, ces créatures veillent à l’équilibre du monde : le gardien du soleil tire chaque jour l’astre lumineux à l’aide d’un temple-char tiré par des bisons géants, tandis que le gardien de la lune guide l’astre nocturne sur un temple porté par des libellules colossales.

Lorsque le jeune Mune, un faune naïf et rêveur, est désigné par accident comme nouveau gardien de la lune, son inexpérience provoque une catastrophe : il laisse les forces du mal dérober la lune. Aidé par Sohone, l’arrogant gardien du soleil, et Glim, une jeune fille fragile sculptée dans la cire, Mune doit accomplir une quête périlleuse pour restaurer l’équilibre cosmique menacé.

La force du film réside dans la cohérence et l’originalité de son univers. Benoît Philippon a élaboré une cosmogonie complète, avec ses propres règles, ses créatures distinctives et sa mythologie. Cet univers ne se contente pas d’être un simple décor : il devient un personnage à part entière, avec ses propres lois physiques et métaphysiques qui structurent le récit.

Une esthétique visuelle renversante

« Mune » frappe d’abord par sa splendeur visuelle. Le film développe une direction artistique audacieuse qui s’éloigne résolument du photoréalisme dominant dans l’animation contemporaine. Ses paysages oniriques, ses créatures fantastiques et ses effets de lumière créent un monde où chaque plan pourrait être encadré.

La dualité jour/nuit se traduit par des choix chromatiques marqués : les scènes diurnes explosent de couleurs chaudes et vibrantes, tandis que les séquences nocturnes baignent dans des bleus profonds et des violets mystérieux, ponctués d’accents lumineux. Cette palette expressive ne se contente pas d’être décorative ; elle traduit visuellement les enjeux dramatiques du récit.

L’animation en images de synthèse, réalisée avec un budget modeste comparé aux productions américaines, fait preuve d’une inventivité constante. Le design des personnages, notamment celui de Mune avec sa fourrure bleue éthérée et ses grands yeux expressifs, ou celui des créatures du Monde des Rêves composées de sable doré, témoigne d’une créativité visuelle exceptionnelle.

Particulièrement remarquables sont les séquences dans le Monde des Ténèbres, où la lumière devient une matière précieuse et rare, créant des compositions visuelles saisissantes de contraste et de profondeur.

Un récit initiatique universel

Sous ses apparences de conte fantastique, « Mune » développe un récit initiatique d’une portée universelle. Le parcours du protagoniste, qui passe de l’insouciance à la responsabilité, résonne avec l’expérience fondamentale du passage à l’âge adulte.

Le film aborde avec finesse des thèmes essentiels : la découverte de sa vocation, l’apprentissage de la confiance en soi, la complémentarité des opposés (symbolisée par la lune et le soleil, le jour et la nuit, la force et la sensibilité), et l’importance de l’équilibre cosmique et écologique.

L’arc narratif de Mune illustre parfaitement le concept du « héros improbable » : c’est précisément parce qu’il est différent, parce qu’il aborde sa mission avec un regard neuf et une sensibilité intuitive, qu’il parvient à résoudre des problèmes insolubles pour les autres. Cette valorisation de la différence et de l’approche non conventionnelle constitue un message puissant et pertinent pour les jeunes spectateurs.

Une dimension écologique subtile

Sans jamais être didactique, « Mune » intègre une dimension écologique profonde. La préservation de l’équilibre entre le jour et la nuit, entre la lumière et l’obscurité, fait écho aux préoccupations contemporaines concernant l’équilibre des écosystèmes.

Le film suggère que chaque élément, même l’obscurité souvent perçue négativement, joue un rôle essentiel dans l’harmonie du monde. Cette approche nuancée invite à dépasser les oppositions binaires pour envisager la complexité et l’interdépendance des forces naturelles.

La représentation de la nature, peuplée de créatures fantastiques mais clairement inspirées de la faune terrestre, renforce cette sensibilité écologique. La beauté des paysages et des phénomènes naturels (aurores, crépuscules, ciel étoilé) suscite un émerveillement qui constitue souvent la première étape d’une conscience environnementale.

Une mythologie originale aux résonances universelles

Benoît Philippon a créé une mythologie originale qui, tout en étant unique, puise habilement dans différentes traditions culturelles. On y retrouve des échos des mythologies nordiques (avec leurs créatures sylvestres), des contes orientaux (notamment dans la conception cyclique du temps) et des légendes méditerranéennes (dans l’importance accordée aux astres).

Cette synthèse culturelle confère au film une dimension universelle qui transcende les particularismes. Les notions d’équilibre cosmique, de gardiens du monde et de forces antagonistes se retrouvent dans de nombreuses traditions spirituelles à travers le globe.

Le film réinvente également la notion de « monde des rêves », représenté comme un univers de sable doré où les songes prennent forme. Cette représentation poétique offre certaines des séquences les plus mémorables du film, notamment lorsque Mune y plonge pour retrouver la lune perdue.

Une œuvre accessible à tous les publics

Malgré sa sophistication visuelle et narrative, « Mune » reste parfaitement accessible aux jeunes spectateurs tout en offrant plusieurs niveaux de lecture pour les adultes :

  • Les enfants sont captivés par l’aventure, les créatures fantastiques et l’humour bienveillant
  • Les adolescents peuvent s’identifier au parcours initiatique des protagonistes et à leur quête d’identité
  • Les adultes apprécient la profondeur de l’univers, les références culturelles et la beauté formelle de l’animation

Cette accessibilité multi-générationnelle constitue l’une des grandes forces du film, perpétuant la tradition des contes qui parlent à tous les âges.

Le génie créatif de Benoît Philippon

« Mune » révèle le talent exceptionnel de Benoît Philippon comme créateur d’univers. Romancier, scénariste et réalisateur, il apporte à l’animation une sensibilité littéraire et une profondeur conceptuelle qui enrichissent considérablement le médium.

Son génie réside dans sa capacité à marier une imagination débordante avec une structure narrative solide. L’univers qu’il a créé pourrait facilement soutenir de multiples récits tant sa cohérence et sa richesse sont grandes. Chaque créature, chaque lieu, chaque rituel de ce monde semble avoir été pensé dans ses moindres détails.

La collaboration avec Alexandre Heboyan, animateur expérimenté passé par les studios DreamWorks, a permis de traduire visuellement cette vision avec une précision et une beauté remarquables. Leur tandem illustre parfaitement la synergie entre l’inventivité narrative et la maîtrise technique qui caractérise les meilleures œuvres d’animation.

Le film bénéficie également de la contribution musicale du compositeur Bruno Coulais, dont la partition éthérée et mélodique accompagne parfaitement les atmosphères visuelles. Les thèmes associés à la lune, notamment, créent une ambiance onirique qui amplifie l’impact émotionnel des images.

Une reconnaissance critique tardive

À sa sortie en 2015, « Mune » n’a pas bénéficié de la visibilité qu’il méritait, notamment face à la domination des productions américaines sur le marché de l’animation. Cependant, le film a progressivement acquis le statut d’œuvre culte auprès des connaisseurs et a été récompensé dans plusieurs festivals spécialisés.

Cette reconnaissance tardive témoigne de la qualité intrinsèque du film et de sa capacité à transcender les modes passagères pour proposer une expérience cinématographique intemporelle. Aujourd’hui, « Mune » est considéré comme l’un des fleurons de l’animation française contemporaine, aux côtés d’œuvres comme « Avril et le monde truqué » ou « Le Chat du rabbin ».

Conclusion

« Mune, le gardien de la lune » est une œuvre d’une poésie visuelle rare qui démontre la vitalité et l’originalité de l’animation française. En créant un univers cohérent, visuellement éblouissant et porteur de valeurs universelles, Benoît Philippon et son équipe offrent une expérience cinématographique qui enrichit considérablement le paysage de l’animation contemporaine.

Ce conte cosmique sur l’équilibre entre les forces opposées mais complémentaires du monde résonne avec les préoccupations écologiques actuelles tout en s’inscrivant dans la tradition intemporelle des mythes et légendes qui nourrissent notre imaginaire collectif.

Pour les enfants comme pour les adultes, « Mune » constitue une invitation au rêve, à l’émerveillement et à la réflexion sur notre place dans l’équilibre du monde. Sa beauté formelle exceptionnelle, son récit initiatique touchant et son univers foisonnant en font une œuvre à découvrir absolument pour tous les amateurs d’animation et de fantastique.

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