Le grand méchant Renard et autres contes – Patrick Imbert
Dans l’univers de l’animation contemporaine française, « Le Grand Méchant Renard et autres contes » (2017) brille d’une lumière particulière, œuvre à la fois modeste dans ses moyens et immensément riche dans sa sensibilité. Co-réalisé par Patrick Imbert et Benjamin Renner (d’après la bande dessinée de ce dernier), ce film d’animation composé de trois récits distincts mais complémentaires séduit par son apparente simplicité qui dissimule une profonde intelligence narrative et une maîtrise technique impressionnante. Concentrons-nous ici sur la contribution essentielle de Patrick Imbert, dont le génie créatif a largement contribué à façonner cette perle de l’animation française.
Un artisan de l’animation aux multiples talents
Patrick Imbert représente une figure particulière dans le panorama de l’animation française. Formé à l’école des Gobelins, il a forgé sa carrière en occupant diverses fonctions techniques avant d’accéder à la réalisation. Son parcours, de l’animation sur « Persepolis » à la supervision de l’animation sur « Ernest et Célestine » (déjà aux côtés de Benjamin Renner), l’a doté d’une compréhension approfondie de tous les aspects de la création animée.
Ce qui distingue particulièrement Imbert est sa capacité à marier une maîtrise technique exceptionnelle avec une sensibilité artistique qui priorise l’émotion et la lisibilité narrative. Dans « Le Grand Méchant Renard », cette expertise se manifeste par une animation d’une fluidité remarquable qui, malgré un style graphique apparemment simple, exprime avec précision les plus subtiles nuances émotionnelles des personnages.
Une direction de l’animation virtuose dans sa retenue
Le génie d’Imbert se révèle particulièrement dans sa direction de l’animation. Contrairement à une tendance contemporaine qui privilégie souvent la surenchère visuelle, il opte pour une approche d’une élégante économie. Chaque mouvement, chaque expression est parfaitement calibrée, sans jamais tomber dans l’excès ou la caricature facile.
Cette retenue n’est pas une limitation mais un choix artistique délibéré qui sert admirablement le propos du film. L’animation des personnages, notamment celle du renard protagoniste tiraillé entre sa nature supposée de prédateur et son attachement croissant pour les poussins qu’il devait dévorer, témoigne d’une compréhension profonde de la psychologie animale stylisée. Par de subtiles variations dans la posture, le regard ou le mouvement des oreilles, Imbert parvient à communiquer toute la complexité émotionnelle du personnage sans jamais recourir à un anthropomorphisme excessif.
Une collaboration fructueuse avec Benjamin Renner
« Le Grand Méchant Renard » est né d’une collaboration étroite entre Patrick Imbert et Benjamin Renner, chacun apportant sa sensibilité particulière au projet. Si Renner est l’auteur de la bande dessinée originale et contribue largement à l’identité visuelle du film, Imbert joue un rôle crucial dans la traduction cinématique de cet univers graphique.
Cette synergie créative se manifeste notamment dans l’adaptation du langage de la bande dessinée à celui du cinéma d’animation. Imbert excelle à préserver l’essence du trait de Renner tout en lui insufflant le mouvement et le rythme nécessaires au médium animé. Le timing comique, élément essentiel du film, bénéficie particulièrement de cette expertise, chaque gag étant minutieusement chorégraphié pour maximiser son impact.
Une maîtrise du rythme et du timing comique
L’un des aspects les plus remarquables du génie d’Imbert réside dans sa compréhension intuitive du rythme narratif et du timing comique. « Le Grand Méchant Renard » alterne avec une précision millimétrée les moments de comédie pure, de tension dramatique et de tendresse contemplative.
Cette maîtrise rythmique se manifeste particulièrement dans les séquences comiques. Qu’il s’agisse des tentatives maladroites du renard pour se comporter en prédateur féroce ou des catastrophes en cascade qui s’abattent sur les personnages de « Un Bébé à livrer », chaque gag est construit avec une rigueur qui évoque les grands maîtres du burlesque cinématographique. Les pauses, les accélérations, les anticipations et les chutes sont orchestrées avec une précision d’horloger qui maximise l’effet comique tout en préservant la fluidité narrative.
Une direction artistique qui privilégie la clarté et l’émotion
La direction artistique du film, à laquelle Imbert a largement contribué, se distingue par sa recherche constante de clarté visuelle et d’efficacité émotionnelle. L’esthétique rappelle l’aquarelle et le dessin au trait, avec une palette chromatique douce qui évoque un monde rural idéalisé.
Cette simplicité apparente dissimule une grande sophistication dans la composition des plans et la mise en scène. Chaque séquence est construite pour guider naturellement le regard du spectateur et mettre en valeur l’élément narratif essentiel. Les différents niveaux de lecture – l’action principale pour les plus jeunes, les subtilités émotionnelles et les références culturelles pour les adultes – sont intégrés avec une élégance qui ne perturbe jamais la limpidité du récit.
Particulièrement remarquable est la façon dont les environnements, malgré leur stylisation, conservent une sensation de matérialité. La ferme, la forêt, les champs possèdent une présence tangible qui ancre les personnages dans un monde crédible, renforçant paradoxalement la portée universelle de leurs aventures.
Un humour intelligent qui s’adresse à tous les publics
Le génie créatif d’Imbert se manifeste également dans la façon dont il aborde l’humour, élément central du film. Plutôt que de céder à la facilité des références contemporaines ou des clins d’œil destinés uniquement aux adultes, il développe un comique de situation et de caractère qui fonctionne à plusieurs niveaux.
Les enfants apprécieront immédiatement la dimension physique et visuelle de l’humour – un renard qui se déguise en poule, un cochon et un lapin tentant maladroitement de livrer un bébé, une troupe d’animaux récréant la Nativité. Les adultes savoureront quant à eux les subtilités psychologiques, comme la crise identitaire du renard ou la déconstruction amusante des archétypes des contes traditionnels.
Cette approche multigénérationnelle évite l’écueil du « double niveau de lecture » artificiel qui caractérise certaines productions d’animation contemporaines. Ici, l’humour n’est pas stratifié mais véritablement universel, chaque spectateur y trouvant matière à rire selon sa sensibilité et son expérience.
Une narration qui privilégie la sincérité émotionnelle
Sous ses apparences de comédie légère, « Le Grand Méchant Renard » aborde des thèmes étonnamment profonds : l’identité, la parentalité, le dépassement des préjugés, la quête de sa place dans le monde. Le génie d’Imbert est de traiter ces questions avec une sincérité émotionnelle qui ne verse jamais dans le sentimentalisme ou le didactisme.
Le parcours du renard, qui devient malgré lui une figure maternelle pour trois poussins, offre une réflexion touchante sur la parentalité adoptive et la construction identitaire. Cette évolution est représentée avec une justesse psychologique remarquable, chaque étape – du rejet initial à l’attachement irrépressible – étant soigneusement motivée et crédible malgré le contexte fantaisiste.
Cette authenticité émotionnelle, servie par la précision de l’animation dirigée par Imbert, permet au film d’aborder ces thèmes complexes sans jamais perdre son accessibilité ou sa légèreté apparente. C’est peut-être là que réside le plus grand tour de force du film : proposer une réflexion profonde sur des questions universelles tout en maintenant une façade de conte animalier joyeux et accessible aux plus jeunes.
Un respect profond pour le jeune public
Un aspect particulièrement admirable du travail d’Imbert est le respect manifeste qu’il témoigne à son jeune public. Contrairement à une tendance répandue qui consiste à simplifier à l’excès ou à assaisonner le récit de références pop culturelles pour maintenir l’attention, « Le Grand Méchant Renard » fait le pari de l’intelligence et de la sensibilité des enfants.
Le rythme du film, sans être lent, prend le temps nécessaire pour développer les situations et les personnages. Les gags ne sont pas frénétiques mais soigneusement construits. Les émotions, plutôt que d’être soulignées par une musique omniprésente ou des expressions exagérées, sont suggérées avec subtilité et laissent au jeune spectateur l’espace pour les interpréter.
Cette confiance dans la capacité des enfants à apprécier un récit nuancé et visuellement sobre témoigne d’une vision profondément respectueuse de l’animation comme art à part entière, et non comme simple divertissement criard destiné à captiver temporairement l’attention.
Un équilibre parfait entre tradition et modernité
Le style graphique et narratif de « Le Grand Méchant Renard » établit un dialogue fécond entre tradition et modernité. Visuellement, le film évoque les classiques de l’illustration jeunesse tout en affirmant une identité contemporaine distincte. Narrativement, il puise dans l’héritage des fables animalières tout en renouvelant intelligemment leurs codes.
Imbert joue un rôle crucial dans l’établissement de cet équilibre. Son approche de l’animation, qui privilégie la clarté du geste et l’expressivité des personnages, s’inscrit dans une tradition classique héritée des maîtres du genre. Simultanément, sa sensibilité au rythme et sa compréhension des attentes du public contemporain permettent au film d’éviter tout sentiment d’anachronisme.
Cette fusion harmonieuse entre valeurs traditionnelles et sensibilité moderne fait de « Le Grand Méchant Renard » une œuvre qui transcende les modes passagères pour atteindre une forme d’intemporalité, qualité rare dans le paysage de l’animation commerciale actuelle.
Une technique au service de l’émotion et du récit
L’expertise technique d’Imbert se manifeste à chaque image du film, mais jamais comme une fin en soi. Chaque choix – du style d’animation à la mise en scène, de la palette chromatique au montage – est rigoureusement subordonné aux exigences narratives et émotionnelles du récit.
Cette subordination de la technique au récit représente peut-être l’aspect le plus fondamental du génie créatif d’Imbert. Dans un domaine où la tentation de l’exhibition technique est constante, il fait preuve d’une humilité artistique remarquable, mettant son indéniable virtuosité entièrement au service de l’histoire et des personnages.
Le résultat est un film qui, malgré sa relative modestie technique comparée aux productions des grands studios, parvient à une puissance expressive et une résonance émotionnelle que bien des œuvres aux moyens infiniment supérieurs pourraient envier.
Une reconnaissance critique méritée
La réception critique enthousiaste de « Le Grand Méchant Renard » – César du meilleur film d’animation, nominations et distinctions dans de nombreux festivals internationaux – témoigne de la reconnaissance par la profession du talent exceptionnel déployé par Imbert et son équipe.
Cette reconnaissance est d’autant plus significative qu’elle s’adresse à un film qui, par sa modestie apparente et son refus des effets spectaculaires, aurait pu facilement être éclipsé par des productions aux moyens plus imposants. Qu’il ait su s’imposer dans ce paysage compétitif témoigne de la force intrinsèque de sa proposition artistique et de l’universalité de son approche.
Pourquoi ce film mérite d’être découvert par tous les publics
« Le Grand Méchant Renard et autres contes » mérite amplement d’être découvert par un public aussi large que possible, bien au-delà de la cible familiale à laquelle il est principalement destiné.
Pour les enfants, il offre un divertissement joyeux et stimulant qui respecte leur intelligence et nourrit leur imaginaire sans les bombarder d’effets visuels ou sonores agressifs. Pour les parents, il propose une expérience véritablement partageable, où l’humour et l’émotion fonctionnent à plusieurs niveaux sans recourir au double discours qui caractérise certaines productions familiales.
Pour les amateurs d’animation, il constitue un exemple inspirant de ce que peut accomplir une équipe talentueuse avec des moyens relativement modestes lorsqu’elle est guidée par une vision artistique cohérente et sincère. Pour les cinéphiles plus largement, il rappelle la capacité unique du médium animé à créer des univers à la fois fantaisistes et profondément humains.
Enfin, à une époque où notre rapport au vivant et à la nature est questionné, le film offre une réflexion subtile sur les relations entre espèces et sur la possibilité de transcender les déterminismes supposés – thèmes dont la pertinence dépasse largement le cadre d’un simple divertissement.
Conclusion : une œuvre qui enrichit le patrimoine de l’animation
« Le Grand Méchant Renard et autres contes » s’inscrit avec évidence dans le riche patrimoine de l’animation française, aux côtés d’œuvres comme « Kirikou », « Ernest et Célestine » ou « La Tortue Rouge ». Le génie créatif de Patrick Imbert y trouve une expression particulièrement aboutie, démontrant qu’une animation apparemment simple peut véhiculer une complexité émotionnelle et narrative remarquable.
En privilégiant constamment la sincérité sur l’esbroufe, l’émotion authentique sur le sentimentalisme facile, et la clarté narrative sur les effets gratuits, Imbert incarne une approche de l’animation qui, tout en s’inscrivant dans une tradition classique, ouvre des voies fécondes pour l’avenir du médium.
« Le Grand Méchant Renard » nous rappelle que la plus grande magie du cinéma d’animation ne réside pas dans sa capacité à éblouir par des prouesses techniques, mais dans son pouvoir unique à créer des mondes et des personnages qui, malgré leur nature graphique, parviennent à toucher notre humanité profonde. C’est peut-être là la quintessence du génie créatif de Patrick Imbert : faire oublier par sa maîtrise même l’artifice de l’animation pour nous connecter directement à l’universalité des émotions et des expériences qu’elle représente.