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Gondola – Veit Helmer

Gondola – Veit Helmer

Gondola, réalisé par Veit Helmer en 2024, se distingue comme une œuvre singulière dans le paysage cinématographique contemporain. Tourné en Géorgie, ce film muet suit le parcours de deux jeunes femmes, Iva et Nino, employées dans des cabines de téléphérique qui relient un village de montagne à une ville en contrebas. À travers leurs rencontres éphémères lors des croisements réguliers des cabines, une histoire d’amour empreinte de poésie et d’humour se tisse, portée par une mise en scène inventive et un sens aigu du visuel. Helmer signe ici une œuvre qui conjugue héritage du cinéma muet et modernité, offrant une expérience aussi audacieuse qu’enchanteresse.

Une narration épurée au service de l’imagination

Le scénario repose sur une prémisse minimaliste : Iva (Mathilde Irrmann) et Nino (Nino Soselia), isolées dans leurs cabines respectives, transforment la routine mécanique de leur travail en un terrain de jeu créatif. Chaque passage des téléphériques devient une occasion d’échanger regards, gestes et inventions farfelues – une cabine décorée en vaisseau spatial, une autre métamorphosée en orchestre de fortune. Cette progression narrative, dénuée de dialogues, s’appuie sur une économie de moyens pour laisser place à une expressivité visuelle et sonore. Le film ne cherche pas à imposer une intrigue complexe, mais à capturer des instants suspendus, où l’ordinaire se mue en extraordinaire grâce à l’imagination des protagonistes.

Une mise en scène maîtrisée et symbolique

Le talent de Helmer se révèle pleinement dans sa direction artistique. Les paysages montagneux géorgiens, avec leurs vallées verdoyantes et leurs crêtes imposantes, servent de toile de fond à une photographie soignée, où les teintes pastel des cabines contrastent avec la rudesse de l’acier et de la pierre. Le téléphérique lui-même, vestige d’une époque révolue, devient un symbole central : une métaphore de la monotonie brisée par la fantaisie et la connexion humaine. Les plans, souvent composés avec une précision géométrique, évoquent une esthétique héritée des pionniers du muet, tels que Buster Keaton ou Jacques Tati, tout en s’inscrivant dans une sensibilité contemporaine.

L’absence de paroles est compensée par une bande-son riche, mêlant les bruits naturels – vent, grincements des câbles – à des compositions musicales signées Malcolm Arison et Sóley Stefánsdóttir. Ces éléments sonores ne se contentent pas d’accompagner l’action : ils rythment le récit, amplifient les émotions et soulignent l’identité du film. Cette approche audacieuse, qui pourrait dérouter dans un autre contexte, fonctionne ici comme une célébration du langage universel des images et des sons.

Une exploration subtile des thèmes

Sous son apparente légèreté, Gondola aborde des questions de liberté et d’identité. Dans un cadre rural géorgien marqué par des traditions conservatrices, l’émergence d’une relation amoureuse entre Iva et Nino apparaît comme un acte de défi discret. Le film évite tout discours explicite, préférant suggérer ces tensions à travers les interactions des héroïnes avec leur environnement – notamment face à un superviseur caricatural, symbole d’une autorité étouffante. Cette retenue narrative renforce la portée universelle de l’histoire, qui parle autant d’amour que de résistance par la créativité.

Public visé et accessibilité

Gondola s’adresse à un large éventail de spectateurs. Les amateurs de cinéma muet y trouveront un hommage réussi à une forme d’expression trop rarement revisitée, tandis que les adeptes de comédies romantiques apprécieront la fraîcheur et l’humour de cette romance atypique. Le film ne requiert pas de connaissances spécifiques pour être apprécié : son langage visuel, ses personnages attachants et ses paysages captivants le rendent accessible à quiconque est sensible à une narration originale et à une esthétique soignée. Les spectateurs curieux de cultures étrangères ou sensibles aux récits célébrant l’imagination y verront également une invitation à explorer un univers à part.

Une œuvre qui marque par sa singularité

Le génie de Veit Helmer réside dans sa capacité à transformer des contraintes – un budget modeste, un décor limité, l’absence de dialogues – en atouts majeurs. Gondola ne révolutionne pas le cinéma par son ambition technique, mais par sa manière de réinventer un médium familier avec une sensibilité unique. Quelques réserves pourraient être émises sur un rythme parfois répétitif ou une conclusion qui manque d’audace, mais ces défauts mineurs n’entachent pas l’élégance de l’ensemble. Le film se distingue par sa capacité à évoquer des émotions complexes à travers des moyens simples, offrant une parenthèse poétique et ludique dans un monde souvent saturé de bruit.

En 1h22, Gondola transporte son public dans un voyage suspendu entre ciel et terre, où la routine cède la place à la fantaisie et où deux âmes se trouvent au milieu des montagnes. Cette œuvre confirme le statut de Helmer comme un artisan visionnaire, capable de faire résonner le passé du cinéma dans un écrin résolument actuel. Pour celles et ceux prêts à embarquer dans ce téléphérique hors du temps, une expérience mémorable attend.

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