Azur et Asmar – Michel Ocelot
Depuis le succès inattendu et phénoménal de l’étonnant Kirikou et la sorcière (1998), Michel Ocelot prouve à chaque nouvelle aventure qu’il est toujours aussi inventif. Après Princes et Princesses (2000), succession délicieuse de contes de fées animés mais au scénario inégal et Kirikou et les bêtes sauvages (2005), co-écrit avec Bénédicte Galup et d’une étonnante plasticité ornementale, il récidive avec Azur et Asmar en usant pour la première fois de l’image de synthèse. Entre 2D et 3D, il narre les aventures de deux frères de lait, le blond Azur, le brun Asmar en Europe puis en Afrique et en plein cœur du Moyen Age. Du décor dessiné aux personnages animés, le thème de la fraternité est d’une telle touchante simplicité qu’on se plaît à croire, pour une fois, à la princesse des Djinns.
Les trois premières scènes du film sont confinées dans un intérieur indéfinissable où la nourrice donne le lait et conte des histoires au fils du châtelain, Azur et à son propre fils, Asmar. L’image est dès lors coupée en deux et cette dualité, posée rapidement comme rivalité entre les deux enfants qui s’aiment tendrement, se joue sur la texture même du film : dessin animé pour les décors d’une flamboyance et d’une architecture où le moindre détail est consigné, images de synthèse pour les personnages qui n’ont donc pas une élasticité aussi parfaite que les traits dessinés. Cette dualité plastique qui oppose et associe deux techniques est ici parfaitement maîtrisée. Azur, Asmar, Crapoux et les autres ont certes des visages lisses, sans aspérité et comme le veut encore la 3D, mais l’alliage avec un univers dessiné leur donne une luminosité inattendue. De même, la démarche des personnages qui est très aérienne, très décalée par rapport au sol, offre une touche manifeste de légèreté. Ainsi la nourrice conte à Azur et Asmar un monde merveilleux et chatoyant où la princesse des Djinns vit, emprisonnée. Seul un prince peut conquérir le cœur de la belle et briser la malédiction.
Les préoccupations thématiques du cinéaste se retrouvent ainsi très rapidement : du sortilège qui emprisonne le bonheur à l’importante tradition orale. La bonté, non dénuée de ruse, mais ruse toujours malicieuse, a raison de la perversité des hommes. Comme Kirikou, Azur est tour à tour naïf et subtil et s’il croit à la princesse des Djinns, il ne saurait en être autrement. Et pour trouver les trois clés qui mènent à elle, il use de tous ses sens pour y parvenir. Et là réside une des forces du travail de Michel Ocelot : ne jamais laisser ses personnages animés sans aucune sensation : le touché, l’ouïe, la vue, le goût, l’odorat, le cinéaste articule son histoire autour des cinq sens. Le monde est à découvrir mais c’est bel et bien le corps qui le découvre et pour parvenir à la princesse, une princesse légère et sans attache terrestre, le blond Azur doit se découvrir lui-même et s’attacher aux plaisirs plus prosaïques (du couscous au marché aux épices). Le sortilège qui emprisonne la jolie princesse éclate avec une réelle ironie lorsque Azur et Asmar apprennent que la gente dame a fait le choix de son prince et que pour gagner son cœur, il fallait aussi qu’elle… aime. Les épreuves traversées n’étaient donc qu’un jeu. Les ballades et les chansons déclinent à leur tour l’histoire : la tradition orale et cette référence explicite aux contes des mille et une nuits rappellent les contes africains qui bercent Kirikou.
De même, le style Ocelot est reconnaissable de suite : la silhouette élancée des personnages, l’utilisation récurrente d’ombres chinoises, le dentelé des ornements architecturaux inspiré des miniatures persanes, jusqu’aux Djinns qui renvoient aux fétiches de la cruelle Karaba. Jusqu’à la princesse Chamsous Sabah qui… mais laissons la surprise ! Ce souci de rendre en détail bijoux, fleurs, jardins, assure un vrai équilibre aux personnages si lisses d’Azur et Asmar. L’étonnante vision d’un palais dessiné en noir et blanc et seulement en noir et blanc montre et démontre la virtuosité de ces animateurs venus de tous les pays pour dessiner Azur et Asmar. Et ce choix de transposer le conte dans un pays arabe se retrouve évidemment dans la richesse d’une architecture fascinante et qui accuse le brio, dans le choix également de ces femmes qui peignent leur visage, leurs mains. Dans cette abondance de couleurs qui ne saurait être inventée.
Un merveilleux conte pour petits et grands.