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Bords de mer – Gustave le Gray

Bords de mer – Gustave le Gray

Peintre de vocation et de formation, Le Gray s’initie à la photographie dès le milieu des années 1840, alors même qu’il est encore élève dans l’atelier de Paul Delaroche. En ces temps héroïques et artisanaux, où la pratique de la photographie suppose de maîtriser certains procédés chimiques, Le Gray présente d’emblée cette double qualité d’artiste et de technicien expérimentateur qui va marquer toute sa carrière.

Si ces premiers essais sont des daguerréotypes, il passe très vite à la technique du négatif papier, à laquelle il apporte une amélioration décisive en 1851 avec le procédé du papier ciré sec ; et à cette date il a déjà expérimenté le négatif sur verre au collodion, parfois en combinaison avec le papier. Dès 1849, sa maîtrise technique était suffisamment assurée et notoire pour faire de lui un professeur reconnu de photographie, auprès de qui vint s’initier ou se perfectionner toute une génération : Maxime Du Camp, Henri Le Secq, Charles Nègre, Adrien Tournachon, John Beasley Greene, Olympe Aguado, Firmin Eugène Le Dien, Édouard et Benjamin Delessert, Eugène Piot… Ces leçons délivrées dans son atelier de la barrière de Clichy s’accompagnaient d’excursions – travaux pratiques dans la forêt de Fontainebleau, permettant de travailler sur la lumière solaire, les jeux d’ombres, le rendu contrasté des surfaces…

L’année 1851 marque le début de la reconnaissance publique pour Le Gray, qui se voit confier deux missions officielles : photographier les salles du Salon annuel des beaux-arts, et surtout participer à la Mission héliographique, chargée de photographier le patrimoine monumental ancien de la France. Avec son ami Auguste Mestral, il est chargé d’un vaste quart sud-ouest du pays, ce qui les conduit de la Loire aux Pyrénées ; ils produisent à cette occasion des vues saisissantes, par exemple du château de Chambord ou de la cité de Carcassonne. Ces deux séries (Salon et Mission héliographique) sont conservées au Musée d’Orsay et à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

En 1855, Le Gray installe à grands frais un somptueux atelier de photographie dans l’immeuble du 35, boulevard des Capucines, où exerceront aussi les frères Bisson et Nadar ; il devient l’un des portraitistes les plus prestigieux de Paris, et les personnalités françaises et étrangères défilent devant son appareil. Réussite mondaine, mais entreprise financière hasardeuse qui le met à la merci de ses commanditaires.

Les années 1856-1859 peuvent être considérées comme l’apogée de la carrière de Le Gray. Désormais parfaitement maître de ses moyens, jonglant en virtuose avec les techniques, il produit sa série la plus célèbre, qui lui valut à l’époque une gloire internationale : les marines, réalisées principalement en Normandie et à Sète en 1856 et 1857. De ces icônes de l’art photographique, la BnF conserve l’ensemble le plus complet au monde, et certains des tirages les plus parfaits — car pour de telles images qui n’ont d’autre sujet que la juxtaposition du ciel et de la surface marine, les effets contrastés qu’y engendre la lumière du soleil, la saisie du mouvement des vagues ou des nuages, la qualité du tirage est proprement essentielle.

Le tour de force bien connu du « ciel rapporté » (superposer deux négatifs distincts, l’un représentant le ciel et l’autre la mer, afin d’obtenir sur un même tirage un rendu parfait de ces deux objets, que les techniques de l’époque ne permettaient pas de fixer simultanément) est certes pour beaucoup dans la renommée de ces images, mais il ne suffit pas à épuiser leur pouvoir de fascination.

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