Les étranges illustrations de William T. Horton
L’éditeur londonien Leonard Smithers (1861-1907) a lancé, financé ou aidé les carrières d’une variété impressionnante de noms : Richard Burton, Aubrey Beardsley, Aleister Crowley, Ernest Dowson, Oscar Wilde, WB Yeats ou encore Max Beerbohm. Il a attiré dans son entourage les personnages les plus excentriques et les plus intéressants de l’époque et a lancé en 1896 le magazine artistique et littéraire le Savoy pour en représenter un grand nombre.
Aubrey Beardsley était le directeur artistique de la revue, et Arthur Symons le rédacteur en chef.
Bien que n’étant pas entièrement entièrement décadent (en publiant notamment George Bernard Shaw et Joseph Conrad), le magazine est devenu un paratonnerre pour les curieux et, comme l’écrit Bernard Muddiman, « l’anormal, le bizarre, a trouvé sa vraie maison ».
Il a également lancé la carrière d’un illustrateur mystique : William T. Horton, sans doute l’un des plus fascinants et des plus inhabituels de tous les « Smithers People ».
William T. Horton a publié très peu de travaux et reste presque complètement inconnu aujourd’hui. Horton a contribué à quatre numéros de Savoy, ce qui fait de lui l’artiste le plus régulier du magazine, avec Aubrey Beardsley. Sa première contribution a consisté en trois dessins accompagnés de citations bibliques, apparus dans le deuxième numéro. Ces images incroyablement frappantes ne ressemblent guère à d’autres œuvres de l’époque. Même dans une ère de décadence bizarre, ils ne sont pas seulement uniques, ils sautent pratiquement de la page et déclarent leur propre étrangeté. De vastes bandes noires et blanches, une ligne minimale, et un style simple mais très inhabituel et même un peu déconcertant. Ces premières images préfigurent les intérêts qui définiront l’art de William T. Horton: l’organisation efficace de figures en noir et blanc, étrangement sinistres, et un mysticisme intense.
Horton est un personnage mystérieux pour deux raisons : son catalogue de travaux publiés est très petit, et rien ou presque n’a été écrit à son sujet.
Horton est beaucoup moins similaire ou dérivé que beaucoup d’autres imitateurs de Beardsley qui peuplaient la fin des années 1890, bien qu’il y ait des éléments de ressemblance dans leurs travaux à tous les deux. Il y a une solitude et une franchise propres à son art. Là où Beardsley célèbre les excès de la civilisation, en les détaillant dans des images complexes et exagérés, Horton évoque l’isolement avec de grands espaces de pages vierges. Les derniers dessins de Beardsley pour le Savoy illustrent sa complexité croissante. En comparaison, les illustrations d’Horton sont plus austères, comme par exemple la Ballade des Pendus.
Après la fin de la publication de Savoy, fin de 1896, la relation entre Leonard Smithers et Horton se poursuivit. Horton illustra une édition de grande qualité du Corbeau d’Edgar Allan Poe. Compte tenu de la tension psychologique troublante de Poe, cela semblerait une trouvaille brillante. Mais pour une raison quelconque Horton a opté pour faire des dessins à la craie noire, qui ne sont pas aussi réussis que ses dessins au trait habituels.
Horton ne travailla plus pour Smithers après Poe, et se retira de ce monde de «décadence des années quatre-vingt-dix» pour aller plus loin dans le mysticisme solitaire. Dans les premières années du nouveau siècle, il a publié plusieurs illustrations dans l’Occult Review, illustre un tarot, et produit des illustrations pour deux autres livres mystiques : un texte visionnaire, le Chemin de l’âme, une légende en prose et Le mahatma et le lièvre, une obscure histoire de rêve de H. Rider Haggard en 1911.
Il a malheureusement peu publié après 1912. Il est frappé en 1916 par une importante dépression nerveuse après la mort de la partenaire Amy Audrey Locke. En 1918, il est renversé par une voiture, et devient paralysé. Il meurt dans la solitude quelques mois plus tard.