Fleurs – Serge Gladky
Perdu, il y a des années, dans les monts de l’Orient, de cet Orient qui resplendit encore dans toute sa beauté sauvage, j’ai eu l’immense bonheur de voir ce qui paraît, à l’heure présente, un mirage ou un reflet d’un passé très lointain. Dans ce pays, où les coteaux pittoresques entourent les vallées par des combinaisons délicieuses de leurs lignes géométriques nettes, fascinant le regard, le désir de l’homme se ressent de la beauté qui
l’environne. Et il recrée dans sa tente de nomade en tout objet l’éternelle beauté de son pays qu’il ne quitte jamais et qu’il aime par-dessus tout.
Et encore aujourd’hui, ce que j’ai vu, reste pour moi le prototype de la création parfaite et définitive, l’image d’une composition accomplie, issue de la compréhension pure et primitive de la beauté éternelle de la nature, une des formes de la création achevée de la « synthèse du primitif ».
A partir de ce moment, la création et la synthèse sont devenues pour moi des synonymes, tandis que la composition synthétique devint la réalisation de cet idéal où tend tout artiste véritable.
Maintenant, quand au milieu du tourbillon de la Ville Lumière, agitée par les milliers d’éléments qui composent sa vie, je saisis son rythme, aux perspectives continuellement changeantes, auquel s’adjoint l’élément éternel du mouvement, je ne puis m’empêcher d’y comparer l’immobilité de la vision de l’Orient
lointain. A quoi bon aller à l’encontre de son temps ! Heureux celui qui parvient à le devancer ne fût-ce que de quelques instants. La création de l’artiste, ce sont précisément ces quelques instants, que l’on ne peut matérialiser que grâce à la synthèse de l’inspiration, de la science, du savoir.
Il n’y a que peu d’années que l’art décoratif marche de pair avec son siècle, son époque, dont le trait essentiel est le dynamisme. La composition ornementale, statique et symétrique, confinée dans deux dimensions comme dans un cercueil, a vécu.
Le cubisme a incontestablement joué un rôle révolutionnaire dans la naissance de l’ornementation moderne. Cet ornement, simple, asymétrique, aux formes aiguisées par le goût et le savoir-faire, aux jeux multiples des couleurs — où se surajoute à la géométrie du coloris celle de la forme — a des surfaces coloriées, dont chacune constitue une des données inconnues qui permettent de réaliser l’idée ornementale moderne.
Cette ornementation qui a déjà trois dimensions au lieu de deux, où la perspective est due fréquemment non pas aux lignes, mais aussi aux couleurs, voilà le pas en avant, dont pourrait se targuer à juste titre l’art d’avant-garde de nos jours. Ce qui, tout récemment, semblait être étrange à la foule lui est devenu nécessaire.
L’homme de l’heure actuelle a une manière nouvelle de voir les choses, et c’est là la récompense de ceux qui
cherchent la réalisation de l’essentiel, du toujours neuf et de l’éternellement beau.
Serge Gladky