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Un homme – Nérée Beauchemin

Un homme – Nérée Beauchemin

Je ne viens pas, ami, sur le bord de ta fosse,
D’une plainte banale outrager ton cercueil ;
Je ne viens pas mêler une éloquence fausse
Aux pleurs silencieux de tes frères en deuil.

Je hais les longs soupirs des froids panégyristes ;
L’accent de l’amitié fervente est plus discret.
L’éloge des défunts n’est pas dans les chants tristes
Des poètes ; il est dans un pieux regret.

Sur ce grand douloureux qui fut un patriote,
Sur ce lutteur tué dans ses nobles transports,
Il messied qu’une lyre importune sanglote
Et scande avec éclat de funèbres accords.

Pleurer ? je ne veux pas ; mais il faut que je dise,
À ces porte-drapeau qu’il n’a jamais trahis,
Aux ministres du peuple, aux princes de l’Église,
Que ce jeune homme fit honneur à son pays.

À la noble, à la fière, à la belle jeunesse,
Je veux montrer la route où le droit l’a poussé,
Pour qu’elle y marche en choeur, pour qu’elle y reconnaisse
La voie où nos plus grands citoyens ont passé.

À peine est-il tombé sous la faux implacable,
Qu’on entend retentir mille plaintives voix :
Hélas ! pourquoi la Mort aveugle, inexorable,
Fait-elle dans nos rangs ces mystérieux choix ?

Hélas ! pourquoi faut-il que la jeunesse meure ?
Le talent est-il donc marqué d’un sceau fatal ?
Hélas ! pourquoi faut-il qu’il s’en aille avant l’heure,
Le viril ouvrier du champ national ?

Il aurait tant aimé finir sa noble tâche.
Il était si cruel pour lui, ce dénouement.
Le loyal serviteur, qui ne fut jamais lâche,
Peut-il se résoudre au suprême effacement ?

Était-ce à lui d’entrer dans l’éternel silence ?
Ce courageux, ce fier paladin de la loi,
Ce robuste parleur qui dit haut ce qu’il pense.
Ce preux dont la parole est parole de roi.

Intrépide soldat d’une armée aguerrie,
Le soleil dans les yeux, et la vaillance au cœur,
Il s’en allait chantant l’hymne de la patrie,
Quand la mort l’arrêta dans son élan vainqueur.

Bédard, Morin, Cartier, Dorion, Lafontaine,
De nos droits assaillis tenaces défenseurs,
Vertueux citoyens dont la gloire lointaine
Éclaire et guide encore vos dignes successeurs !

Il est de votre sang, il est de votre race.
Ce grave enfant, trop tôt moissonné par le sort !
Ombres dont le sourire illumine la face,
Saluez le manteau blanc de ce jeune mort !

Comme vous, devant l’or des viles coteries
Il n’a jamais courbé ni le front, ni les reins ;
Et son brutal dédain des basses flatteries
Enseigne la franchise à ses contemporains.

On peut me ruiner, disait-il, mais nul homme
Ne m’ôtera le legs que j’ai reçu des miens :
La riche honnêteté du nom dont je me nomme ;
Nul ne peut me ravir à moi, ce bien des biens.

Des grands Canadiens tel fut le caractère ;
Tel fut leur mâle orgueil, leur courage hardi.
De ces ancêtres forts le souffle héréditaire
Au cœur de leurs neveux ne s’est pas refroidi.

Houde mourut debout. Le Maître, qui dispense
À son gré le pouvoir physique et la santé,
Anima d’un rayon de flamme trop intense
La débile vigueur de ce corps indompté.

Le phtisique, malgré la fièvre qui le brise,
Mourant, s’acharne encore au labeur, au devoir,
Et son âme, on ne sait par quel miracle, puise
Courage et force au fond de son morbide espoir.

C’est en vain qu’il se dresse ; il s’affaisse, il succombe.
Ses courts printemps ont fui comme l’ombre et le vent.
Houde, le fier, le franc, l’honnête, est dans la tombe ;
Mais son nom restera populaire et vivant.

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