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L’homme qui regardait les femmes / 2 – Frédéric Beigbeder

L’homme qui regardait les femmes / 2 – Frédéric Beigbeder

Le sexe est devenu un show permanent dont nous sommes tous les spectateurs assidus : le dimanche soir, j’allume  M6  aux  alentours  de 22 h 30 : une superbe mulâtresse baudelairienne initie une jeune Suédoise aux joies de la Johnson’s Baby Oil : attentivement, je les  regarde se frotter, très nues, l’une contre l’autre : leurs feulements sont doublés en français : mon monde est plein de ces images : dans mon monde, il y a des doubles pénés, des gang-bangs et des éjacs faciales sur le câble : il y a des publicités pour des gels de douche où quelques mannequins étalent de la mousse sur leurs seins : comme dans le clip de Madonna aux yeux bandés et celui de Zazie où tout le monde transpire beaucoup en caressant des corps : j’ai rencontré Zazie : en lui parlant, je ne pensais qu’à cette partouze d’hôpital psychiatrique, à son corps maigre couvert de peinture fraîche : je lui ai dit que mon film préféré, c’était : Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock :  infiniment  supérieur à Body Double et Sliver, pourtant sur le même registre : le voyeurisme : souvent je rêve que j’ai la jambe cassée et que Grace Kelly, en robe de haute couture, m’aide à surveiller les voisins d’en face avec une longue vue : nous passons de longues après-midi à mater par la fenêtre : malheureusement mon appartement donne sur une cour où la seule chose à voir est la concierge qui range les poubelles : aucune voisine sexy ne se promène en slip devant sa fenêtre : je le déplore, croyez-moi : parfois je suis un peu moins voyeur : je deviens écouteur : j’apprécie à leur juste valeur les gémissements de Jane Birkin dans Je t’aime moi non plus : le couple qui vit au-dessus de chez moi ne gémit pas mal non plus : j’écoute les grincements de leur lit qui accélèrent : je ferme les yeux pour redevenir voyeur : comme dans les fêtes : là mon voyeurisme peut s’exercer à satiété : seul dans mon coin je peux contempler mes copines bourgeoises déguisées en putes, et mes copines putes déguisées en bourgeoises : je ne tarde pas à me prendre pour Gatsby le Great ou Andy Warhol, sirotant mon verre pendant que mes amis se font corriger à coups de cravache Hermès : en rentrant chez moi au petit jour, je croise des kiosques à journaux remplis de magazines aux titres tentateurs : Démonia, Pussy Mag, Pandora ‘s Box, The Financial Times : avant de monter dans un taxi, je lis la devanture d’un sex-shop : « 100 films pour 10 francs, peep-show permanent, cuir, gadgets, lingerie » : je me retiens d’y entrer car je suis trop connu : c’est ma vie : notre vie devrais-je dire : je n’ai pas le sida mental : nous avons une capote mentale : notre façon de nous protéger c’est de tout VOIR sans jamais rien FAIRE : ma bite ce sont mes yeux : si vous saviez le nombre de top-models que j’ai baisés avec mes yeux : je suis un obsédé visuel : j’observe les êtres humains qui vivent, souffrent, meurent : à la télé ou en vrai : parler à des inconnues m’effraie : par timidité bien sûr mais aussi par ennui : le cirque de la drague est tellement prévisible : offrir un verre, boire le verre, dire des compliments, danser le jerk, poser la main sur la cuisse, embrasser avec la langue, raccompagner en scooter, prendre un dernier verre dans l’appartement, bander de la bite, pénétrer le vagin, aller et venir, jouir du sperme dans un préservatif, se retenir de partir en courant juste après : se contenter de regarder est moins fastidieux : la scoptophilie est une paresse constructive (scoptophilie : synonyme de « voyeurisme », bande d’ignares) : je suis voyeur de tout : Rimbaud avait tout faux : le poète ne doit pas se faire voyant : il faut se faire voyeur des nuages, voyeur de la lune et des étoiles, voyeur du soleil quand il se lève et se couche et se relève, voyeur des aéroports, voyeur des voyageurs : je suis voyeur des passantes, des serveuses, des standardistes, des vendeuses de hot dogs : voyeur de Christy Turlington et de la Seine sous le pont des Arts, voyeur du ciel sur l’île de la Cité : voyeur des non-voyants, voyeur des voyeurs : enfin je rentre à la maison : il n’y a qu’avec ma femme que je ne suis plus voyeur : avec elle, je me venge : avec elle, je suis aveugle.

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