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L’enlevée – Gertrud Kolmar

L’enlevée – Gertrud Kolmar

Dans l’auge je découpe des croûtes dures
De lourd pain noir que je cuis ;
Je veux me ceindre d’un tablier bleu pataud,
Aller par le jardin avec une bêche.

L’enfant dort paisiblement dans son abri.
Jusque vers le soir, je peux sarcler, œuvrer ;
Quand je m’essuierai la sueur du visage,
La gorgée de lait de chèvre me fortifiera.

Le râteau passe sur des collines de mauvaise herbe ;
Si je m’arrête, je ne peux que me railler,
Pensant au parterre de roses dans le parc,
À nos jeux d’eau, aux grottes rocheuses.

Fus-je gravier jaune près de l’arcade de la charmille ?
J’ai sans doute été de terre sombre
Quand je suis partie avec l’homme fruste
Qui n’aime pas écrire et peu lire.

Qu’est le remords ? Ce que disent les livres.
Ce serait triste si je ne trouvais pas de temps pour le chagrin,
Pour déplorer le cal à mon pied délicat,
Pour avoir honte de mes mains crevassées.

Et les parents ? Promesse de bague et cérémonie ?
Ah, que facilement se dissout ma conscience
Quand je revois : là-bas le prétendant gris,
Ici l’enfant brun dans mes coussins.

Notre nuit : un parfum de fleur des prés,
L’épaule d’un homme contre laquelle j’apprends
À être soleil et buisson et glèbe
Et fruit d’arbre, sans faille jusqu’au noyau.

Nos bras sont tôt étendus par le tilleul,
Alors que nous nous endormîmes respirant l’un dans l’autre.
Ma racine vacillait chétive dans le vent
Et elle a poussé chez elle dans les profondeurs !

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