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Le village aérien – Henry de Monfreid

Le village aérien – Henry de Monfreid

(Extrait)

Nous partons de très bonne heure, avant le jour, au chant du coq. La nuit est froide : les étoiles ont l’éclat dur du diamant. Nous sommes à deux mille cinq cents mètres d’altitude et le sommet que nous devons atteindre nous surplombe de huit cents mètres.

Je renonce à décrire cette curieuse végétation tropicale des hautes altitudes. A lui seul par exemple, le spectacle des coussos en fleur est une féerie.

En cette saison, ces grands arbres couverts de grappes rouges, avivées par le soleil levant, embrasent la masse profonde des lourdes forêts de cèdres. Plaqué en longues flammes écarlates, cet incendie de couleurs semble lancé à l’assaut de la sombre montagne par une infernale tempête. Tout cela est si grand que les mots font pitié…

En deux heures, nous atteignons la limite des forêts ; les coussos ont fait place aux genévriers géants plus hauts que les sapins alpestres. Une toukoul abandonnée nous permet de laisser la mule et les charges gênantes pour l’escalade des derniers escarpements de la forteresse naturelle.

Je ne puis croire à l’existence d’habitations en haut de cette muraille de basalte ; c’est un domaine de conte de fées.

Nous cheminons dans des broussailles inextricables enchevêtrées de ronces et de chardons gigantesques ; le sentier s’insinue en tortueux méandres où la vue est sans cesse limitée à quatre ou cinq mètres.

Un seul homme embusqué dans un pareil chemin pourrait en interdire le passage à une nombreuse troupe.

Partout, les grands chardons à fleurs rondes émergent des fourrés. Agités par le vent, ces globes hérissés d’épines, plus gros qu’une tête humaine. surgissent, disparaissent, font des signes mystérieux, comme si tout un peuple de djinns s’éveillait à notre passage.

Cent autres espèces encore, plantes curieuses dont j’ignore les noms, achèvent le fantastique décor où nos imaginations font danser leurs chimères.

Enfin, voilà les dernières roches, de gros hexagones de basalte dressés en tuyaux d’orgue. Ils se découpent sur le bleu du zénith, et semblent basculer éternellement dans le vide, par une illusion de mouvement par rapport aux nuages courant dans le ciel.

Qu’allons-nous découvrir après cette aérienne barrière ?

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