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Le viatique – Nérée Beauchemin

Le viatique – Nérée Beauchemin

La cloche, lente, à voix éteinte,
Tinte au clocher paroissial,
Et l’écho tremblant de sa plainte
Tinte et meurt dans l’air glacial.

L’airain sonne en branle. On écoute.
Pour qui le glas a-t-il tinté ?
Et le son grave, avec le doute,
Tombe sur le cœur attristé.

C’est dans un hameau solitaire,
Où l’homme, encore rude et sain,
Pauvre sur une maigre terre,
Vit obscur et meurt comme un saint.

Aux premiers branles de la cloche,
Les humbles seuils se sont ouverts.
Un bruit de pas drus, qui s’approche,
Frappe l’air lourd des champs déserts.

Par les sentiers que l’ombre voile
Défile un cortège ; en avant,
On voit filer comme une étoile
Un cierge qui vacille au vent.

Mi-voilé d’un lambeau de moire,
Sur le flanc d’un fin lin bénit,
Aux mains du prêtre le ciboire
Comme un soleil d’argent reluit.

À genoux ! c’est le Viatique,
C’est le dictame des souffrants,
Le pain de l’au-delà mystique,
Le divin chrême des mourants.

L’or pâle et la pourpre amortie
Du crépuscule occidental
Au-dessus de la sainte hostie
Forment comme un dais triomphal.

Toi qui vois l’invisible gloire
De cet invisible passant,
Humble fils de la glèbe noire,
Incline-toi, comme un enfant.

C’est Lui : cette pompe céleste.
Proclame sa divinité,
Et ce tant naïf culte agreste
Nous dit sa pauvre humanité.

Quelques paysans en prière
Suivent, leur rosaire à la main ;
Les clous des souliers de misère
Sonnent aux cailloux du chemin.

L’humble suite rustique passe
Au refrain machinal des mots
Que traînent à voix lente et basse
Les dévotes et les dévots.

Oh ! bienheureux ce pauvre monde
Qui devine, et croit sans les voir,
Les choses qu’une ombre profonde
Cache aux maîtres du haut savoir.

Heureuses ces âmes crédules
Qui gardent confiance et foi
Aux mystérieuses formules
De l’ancienne et nouvelle loi.

On n’entend sur la route sombre
Que la clochette du sonneur.
C’est l’heure où la mort vient dans l’ombre.
Hâtez-vous, courrier du Seigneur.

Hâtez-vous ! Tout est morne et triste.
Hâtez-vous ! D’un seul vol, sans bruit,
La mort s’abat à l’improviste,
Comme un sinistre oiseau de nuit.

Là-bas, dans la chambre blafarde,
Un malade souffre à mourir.
Oh ! comme il est lent, comme il tarde,
L’ami qui s’en vient le guérir !

Du beffroi la grave harmonie
S’éteint, triste comme un adieu.
Ange gardien de l’agonie,
Soutiens les pas du porte-Dieu.

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