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La voix – Walt Whitman

La voix – Walt Whitman

I

Je chante la voix, la mesure, la concentration, la détermination et le pouvoir divin de prononcer les mots ;
Etes-vous parvenu à vous faire des poumons solides et des lèvres souples, après de longs essais ? Les avez-vous obtenus tels à la suite d’un exercice vigoureux ? Les tenez-vous de votre constitution ?
Parcourez-vous ces larges régions avec autant de largeur en vous-même qu’elles en ont ?
Etes-vous bien arrivé à posséder le pouvoir divin de prononcer les mots ?
Car ce n’est qu’à la fin, après beaucoup d’années, après avoir connu la chasteté, l’amitié, la procréation, la prudence et la nudité,
Après avoir foulé la terre et affronté fleuves et lacs,
Après avoir débarrassé sa gorge de ses entraves, après avoir absorbé les âges, les tempéraments, les races, après avoir connu le savoir, la liberté, les crimes.
Après avoir acquis une foi complète, après s’être clarifié et exalté, après avoir écarté les obstacles.
Après toutes ces expériences et bien davantage, qu’il est tout au plus possible que vienne à un homme ou à une femme le pouvoir divin de prononcer les mots ;
Mais alors vers cet homme ou cette femme tout se précipite à flots — rien ne résiste, tout est là.
Armées, vaisseaux, antiquité, bibliothèques, peintures, machines, villes, haine, désespoir, amitié, douleur, vol, meurtre, aspiration, tout cela se forme en rangs serrés.
Tout cela sort selon que cet homme ou cette femme en a besoin, pour défiler docilement par sa bouche.

II

Oh qu’y a-t-il donc en moi qui me fait ainsi trembler en entendant des voix ?
Celui qui me parle d’une voix juste, je le suivrai sûrement quel qu’il soit,
Comme les flots de la mer suivent la lune, en silence, à pas fluides, n’importe où autour du globe.
Tout est en attente de voix justes ;
Où est l’organe exercé et parfait . Où est l’âme développée ?
Car je vois que tous les mots qui en sortent ont des sons neufs, plus profonds et plus purs, qui seraient impossibles à de moindres conditions.

Je vois des cerveaux et des lèvres qui restent fermés, des tympans et des tempes que rien ne frappe,
Jusqu’à ce que s’élève la voix qui a la qualité de frapper et d’ouvrir,
Jusqu’à ce que s’élève la voix qui a la qualité d’accoucher ce qui sommeille, toujours prêt à sortir, dans tous les mots.

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