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La sorcière – Gertrud Kolmar

La sorcière – Gertrud Kolmar

Je veux la nuit coucher dehors et crier comme un oiseau,
Résonner comme crie le geai, « jac ! jac ! » comme la pie jacasse.
Je ne peux être une gentille poule de basse-cour,
Qui pond son œuf et caquète.
Les cernes plumeux des yeux de la chouette sont aussi miens.

Je me revêts de la robe de la chouette.
J’aime de surcroît allumer des yeux rouges.
Si je rencontre ainsi le bouc, que je chevauche parfois,
Il tombe et regrette ses péchés.
Et en hiver, il neige de la neige de sang.

Mon trône est la chaise crapaude où grimpe la ciguë.
Près de la mare je suis couchée ; dans une sombre saumure
Je trouve un visage avec lequel je fornique,
Et le rollier bleu voleur
Volète jusqu’à l’aulne près de l’étang.

J’ai un visage de couleuvre,
Sur lequel les petits garçons jettent des pierres
Quand ils le voient à la lumière du soleil.
Et je veux pourtant, je veux pour moi arracher des hommes à la couche
D’une dont le regard et les paroles sont aimables.

Je veux rapprocher d’eux mes épaules nues
Avec mes seins froids, couverts d’écailles atroces ;
Il faudra qu’ils reposent avec moi dans des antres
Et dans des plaisirs sautillant comme des flammèches.
J’évoquerai des spectres près des souliers qu’ils auront quittés.

Ô, je suis pour chacun ce qu’il y a de plus splendide au monde !
Mais de son regard je tire la cécité :
Alors il sait que dans ses bras il tient
Une chose abominable,
Et piaille d’angoisse, jusqu’à la stridence.

Et la forêt tourbeuse rit.
La bouche vaseuse s’ouvre comme un cratère.
Et dans la sixième nuit à compter d’aujourd’hui
Je mettrai bas sans doute un chat noir comme poix
Qui surveillera pour moi la marmite écumante.

Alors je deviendrai homme.
Je bondirai sur les femmes du haut des gouttières.
Mais je ne m’en prendrai pas aux enfants,
Je les laisserai courir avec leurs petits cartables.
Ils portent une herbe que je ne peux étrangler.

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