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Il chantait d’une voix très douce – Fernando Pessoa

Il chantait d’une voix très douce – Fernando Pessoa

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Il chantait, d’une voix très douce, une chanson venue d’un pays lointain. La musique nous rendait familiers les mots inconnus. On aurait dit le « fado » qui chante à l’âme, mais ce chant ne lui ressemblait en rien.

La chanson disait, d’après ses phrases voilées et sa mélodie, si humaine, des choses qui se trouvent dans l’âme de chacun de nous et que personne ne connaît. Il chantait dans une sorte de somnolence, ignorant du regard les auditeurs, perdu dans une petite extase de coin de rue.

Les gens attroupés l’écoutaient sans moquerie apparente. La chanson appartenait à tout le monde, et les mots quelquefois nous parlaient, secret oriental de quelque race perdue. On n’entendait rien des bruits de la ville, qu’on entendait pourtant, et les carrioles passaient si près que l’une d’elles frôla un pan de ma veste. Mais, si je la sentis, je ne l’entendis pas. Il y avait une intensité dans le chant de l’inconnu qui venait caresser ce qui rêve en nous, ou tente de rêver sans y parvenir. C’était un fait divers de la rue, et nous avons tous aperçu l’agent de police qui venait de tourner lentement au coin de la rue. Il s’est approché avec la même lenteur, et est demeuré immobile derrière le petit vendeur de parapluies, comme s’il venait d’apercevoir quelque chose. A ce moment, le chanteur s’est arrêté. Personne n’a rien dit. Alors l’agent est intervenu.

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