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Epiphanie – Nérée Beauchemin

Epiphanie – Nérée Beauchemin

Oh ! quelle Épiphanie, en ce pays sauvage,
D’un rayon d’Évangile à peine illuminé,
Fit venir, comme aux lieux où le Sauveur est né,
Le message de l’Ange et l’étoile du Mage ?

Quel miracle d’audace et de foi fit bâtir,
Malgré tous les démons du désert, une église,
Et graver la façade et buriner l’assise,
Au chiffre glorieux de Brébeuf, le martyr.

Tandis que les chevaux du colon qui moissonne,
Rouleront, à pleins chars, sur les coteaux voisins,
Seigles jaunes, foins verts et rouges sarrasins,
Quel rite évoquera Lucifer en personne ?

Quel pouvoir forcera le Diable à charroyer
Les poutres, les troncs d’arbre et les quartiers de roche,
Jusqu’au jour où la croix du tourillon sans cloche,
D’épouvante et d’horreur, viendra le foudroyer.

Oh ! qu’il fut beau le jour où sur les vertes berges,
On vit, comme en cadence, au chant des bûcherons,
S’élever vers le ciel le cèdre des chevrons,
Tout odorant du vierge encens des forêts vierges !

Voyez-les donc ! Quel souffle anime le chantier ?
Elle est sensible à tous, l’aide surnaturelle :
Aux bras des jeunes gens, moins lourde est la poutrelle
Plus légère est la hache aux mains du charpentier.

Et la pierre des champs, qu’un blanc mortier maçonne,
Et qu’arracha le soc des cendres du terroir,
Incassable, à l’égal des cailloux du manoir,
Monte, et, de rangs en rangs, d’elle-même s’ordonne.

Enfin, quand tout est joint, charpenté, chevillé,
Avec amour, au cœur doré d’un sycomore,
Un naïf artisan taille un saint Isidore,
À l’épaule portant une gerbe de blé.

Le jour inaugural a brillé. La bourgade
Croit voir le coq gaulois, bec ouvert, tête au vent,
Sur ses grêles ergots de fer se soulevant,
Comme pour claironner sa plus sonore aubade.

Votre église est ouverte. Accourez, moissonneurs !
L’autel où du Patron la Relique est sertie,
Avec le pâle encens du pauvre, offre l’hostie
D’amour, de sacrifice, au Seigneur des seigneurs.

Cette légende flotte encore sous le chaume.
Les anciens du pays affirment que Satan,
Changé, par saint Michel, en un cheval fantôme,
A charroyé le bois de l’église d’antan.

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