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Art – Gertrud Kolmar

Art – Gertrud Kolmar

Elle prit le crayon à pointe d’argent
Et lui ordonna de glisser sur la blanche surface mate, Son pays. Il traça
Et créa des montagnes.
Des montagnes pelées, fronts nus de sommets aux arêtes pierreuses, méditant sur le désert ;
Enveloppés,
Leurs corps s’estompaient, disparaissaient derrière le blême cocon d’un nuage.

Ainsi pendait le tableau sur fond de gouffre noir, et des gens le regardaient.
Et ces gens disaient:
« Où est l’arôme ? Où est le jus, l’éclat saturé ?
Où le vert luxuriant des prairies, jaillissant plein de vigueur Et
le rouge brun du récif cramoisi, où sa sourde tristesse grise ?
Pas un faucon aux aguets pour l’ébranler, pas un berger ici pour flûter.
Jamais ne tintent avec fracas dans le bleu plus suave du soir les cornes joliment élancées de chèvres sauvages.
Sans couleurs, sans âme, sans voix est tout cela qui ne nous parle pas.
Passez votre chemin. »
Mais elle s’arrêta et se tut.
Petite, inaperçue, elle s’arrêta dans la multitude et se tut. Seule son épaule tressaillit, son regard fondit en larmes. Et le nuage que l’esquisse de sa main avait fait s’envoler Descendit et l’enveloppa, la souleva et l’emporta
Jusqu’à la crevasse de ses montagnes pelées.

Un guetteur,
À qui deux basilics vert bronze tressaient une couronne, Se leva dans la pénombre, rougeoya et s’inclina pour la saluer.

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