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A la claire fontaine – Nérée Beauchemin

A la claire fontaine – Nérée Beauchemin

Pierre, mon ami Pierre,
À la guerre est allé
Pour un bouton de rose
Que je lui refusai.
(Berceuse ancienne)

Il est une claire fontaine
Où, dans un chêne, nuit et jour
Le rossignol, à gorge pleine,
Redit sa peine
Et son amour.

Si belle et si douce est son onde,
Si transparente, si profonde,
Qu’on vient de bien loin à la ronde
S’y promener
Et s’y baigner.

Son flot où la menthe et la prêle
Poussent, à fleur d’eau, pêle-mêle,
Filtre son cristal à travers
Le filtre frêle
Des cressons verts.

Les jeunes filles, le dimanche,
Y vont, nu-tête, fleurs au front,
En mai, sous le chêne qui penche,
En jupe blanche,
Danser en rond.

Il en est une – une promise –
Qui fuit et la danse et le bruit,
Et qui, dans son deuil de payse,
Martyre exquise,
Se meurt d’ennui.

Un soir que la blonde amoureuse
Se mirait dans la source ombreuse,
Un pâtre à la voix langoureuse
Lui fit l’aveu
D’un premier feu.

« Oh ! donne-moi cette églantine »
Dit-il, très-bête et tout confus.
La belle dit : Non, et s’obstine,
Âpre et mutine,
Dans son refus.

Fou de dépit, fou de colère,
Sans voir celle qui fut si chère,
Le bon ami, le pauvre enfant,
Pour la frontière
Part en pleurant.

Aux jeunes la guerre est bien dure ;
Le mal du pays les torture ;
On pleure. Oh ! que le temps nous dure
Loin de ce doux
Pays : Chez nous.

Vers une rive plus clémente,
Le rossignol a pris l’essor.
Seule, au bord de l’onde dormante,
La pauvre amante
Soupire encore.

En vain de ses pleurs elle arrose
Le bouquet qui fit son malheur :
« Reviendra-t-il ? Rosier morose,
Rends-moi ta rose.
Rends-moi ta fleur ! »

Trois ans après, un militaire,
Sac au dos, couvert de poussière,
De la fontaine solitaire,
Bâton en main,
Prit le chemin.

C’est lui ! – C’est elle ! – Sans rien dire.
Le soldat aux yeux attendris,
Et la chère âme qui soupire,
Dans un sourire
Se sont compris.

La dernière fleur de l’année,
Des pleurs de l’automne baignée,
S’effeuille au vent. La belle offrit
La fleur fanée
Au fier conscrit.

Et ce bouquet, que la hantise
De l’amour naïf poétise,
Répand, dans l’air doux qui les grise,
Comme un relent
De lilas blanc.

Ohé ! danseurs, à la fontaine,
Dansez en rond, chantez en chœur !
Le plus beau garçon de la plaine,
À Magdeleine
Donne son cœur.

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