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The Grand Budapest Hotel – Wes Anderson

The Grand Budapest Hotel – Wes Anderson

Le film retrace les aventures de Gustave H, l’homme aux clés d’or d’un célèbre hôtel européen de l’entre-deux-guerres et du garçon d’étage Zéro Moustafa, son allié le plus fidèle. La recherche d’un tableau volé, oeuvre inestimable datant de la Renaissance et un conflit autour d’un important héritage familial forment la trame de cette histoire au cœur de la vieille Europe en pleine mutation.

La filmographie de Wes Anderson est une avalanche vertueuse. Une boule de neige de dessin-animé grossie par l’expérience et le dévalement, qui digère tout ce qu’elle croise sans rien omettre de sa matière fondamentale. Irrigué par 18 ans de cadres maniaques, de panoramiques-éclairs, d’influences tatouées sur la rétine, de décors pointilleux, de légèreté placide, de familles dysfonctionnelles et de vannes d’un autre monde, The Grand Budapest Hotel a des allures d’aboutissement. Le point culminant d’une carrière débutée dans l’amateurisme éclairé, prolongée dans les terres du culte souterrain, et propulsée sur le devant de la scène indie-chic par un public aussi singulier que son œuvre, garni de barons de la mode, de cinéphiles-sociopathes, de mamans esthètes, de hipsters sans fond ou de profs bien formés.

Recycleur de prestige, le réal le plus classe de l’ouest pose donc son hôtel dans l’est de l’Europe, entre deux guerres et des camions de références. Stefan Zweig, Thomas Mann, Ernst Lubitsch, Billy Wilder ou Hergé sont tous conviés pour cette grande sauterie à peine chorale mais définitivement luxuriante, et y rencontrent à la fois les obsessions d’Anderson (les hôtels, la symétrie, la filiation, l’absurdité mid-tempo, le pittoresque réinterprété, la contemplation temporaire ou les pointes de vitesse narratives), ses dernières marottes (le film noir, les cavalcades théâtrales de Moonrise Kingdom, l’animation de Fantastic Mr Fox) et la plupart des membres de sa très belle famille (Adrien Brody, Owen Wilson, Jason Schwartzman, Bill Murray, Willem Dafoe, Edward Norton etc). Résultat : ce mash-up pop-culturel aussi vigoureux que naphtaliné plane un ton au-dessus du réel, et du reste de l’œuvre de Wes.

Monsieur Gustave, joué façon premier prix de conservatoire par Ralph Fiennes, y apparait comme un Steve Zissou de l’hôtellerie, minus la morgue du simili-cousteau. Une figure paternelle magnétique abîmée par la fuite d’un monde dont il est la boite noire, et un concierge gérontophile plus aristo que les vielles choses qu’il culbute dans son palace. Aussi abrupt que romantique, et aussi lâche que chevaleresque, il incarne également la nostalgie flamboyante de son papa Anderson. Une symétrie résumée par Zero Moustafa, qui lâche à propos de son mentor et la disparition de son environnement naturel « il entretenait l’illusion avec une grâce merveilleuse ».

Oui, despote minutieux de son petit théâtre pastel, dans lequel il convoque donc les motifs ambivalents de l’âge d’or hollywoodien (comme la gravité poids-plume du scénario policier), et confronte des caricatures jaillies d’un Tintin jamais dessiné (le tueur teuton aux mains truffées de bagues-têtes de morts, la vieille comtesse cataractée) à l’euro-idéalisme déçu mais énergique de Zweig, Anderson ne raconte pas seulement la dérive d’une civilisation niant son propre engloutissement, il déterre aussi son panthéon personnel et le vaccine avec entrain contre la mort culturelle, façon méthode Coué. Son film est à l’image du Grand Budapest Hôtel en fin de vie ou envahi par les nazis : un asile désuet et perméable à la barbarie, hanté par d’admirables fantômes, mais toujours palpitant, pourvu qu’on arrose ses souvenirs avec suffisamment de panache bienveillant, cuvée 1930.

Plus lugubre, graveleux, haletant et grand-guignolesque que les autres enfants de WA (on compte un certain nombre d’homicides et d’organes orphelins), le métrage lutte pourtant contre la maturité en multipliant les séquences cartoonesques (la poursuite en luge, l’évasion de la prison) en brodant des sections inimaginables ailleurs que chez le texan fou, comme la brillante présentation de la société secrète des clés croisées (une congrégation de concierges solidaires), et en baignant le tout dans un comique chorégraphique ou purement cinématographique (Anderson se moque de ses propres cadres) rarement aussi virtuose. A la fois trésor artisanal ultra-personnel (travellings latéraux grand luxe, sûreté de l’art décoratif, intelligence du découpage, précision criminelle des compositions) et hommage forcené au cinéma d’avant-hier, The Grand Budapest Hotel prouve également qu’il est possible de se réinventer sans souiller une signature que les contempteurs du surdoué appelleront une formule, quand nous parlerons plutôt de vision.

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