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Bakemono Zukushi – le manuscrit des monstres

Bakemono Zukushi – le manuscrit des monstres

Ces merveilleuses images présentées ici sont tirées d’un rouleau peint japonais connu sous le nom de Bakemono zukushi. L’artiste et la date sont inconnus, bien que l’on pense qu’ils datent de l’époque d’Edo, du 18e ou du 19e siècle. Le rouleau représente un tableau macabre de « yokai » du folklore japonais.

On pourrait décrire un yokai comme une créature bizarre ou mystérieuse, un monstre ou un être fantastique, un esprit… Ce sont des créatures des régions frontalières, vivant à la lisière de la ville, ou dans les montagnes entre villages, ou dans les tourbillons d’une rivière qui coule entre deux rizières. Ils apparaissent souvent au crépuscule, cette période grise où le familier semble étrange et où les visages deviennent indiscernables. Ils hantent les ponts et les tunnels, les entrées et les seuils. Ils se cachent à la croisée des chemins.

Ils se caractérisent aussi par une capacité à changer de forme. C’est ce qui est mis en avant dans ce rouleau, le bakemono (ou obake), un mot qui signifie littéralement « changer quelque chose » ou « chose qui change ». Le père fondateur du minzokugaku (études folkloriques japonaises), Yanagita Kuno (1875-1962), établit une distinction entre le yurei (fantômes) et bakemono : les premiers hantent les gens et sont associés à la profondeur de la nuit, tandis que les seconds hantent les lieux et se voient à la faible lumière du coucher du soleil ou du jour.

Parmi les monstres bakemono représentés dans le parchemin se trouve la rokurokubi (ろくろくび), une femme au long cou dont le nom signifie littéralement « cou de poulie ». Qu’elle soit montrée avec une tête complètement détachable (plus courante dans les versions chinoises), ou avec une tête au bout d’un long cou en forme de fil comme montré ici, la tête du rokurokubi a la capacité de voler indépendamment du corps. Dans sa collection Kwaidan de 1904, Lafcadio Hearn présente la première histoire approfondie de ce yokai en anglais, racontant l’histoire d’un samouraï devenu prêtre voyageur qui passe la nuit dans une famille de rokurokubi qui veut manger son invité.

On voit aussi Yuki-onna (« la femme de neige » – 雪女) qui apparaît les nuits enneigées comme une belle femme aux cheveux longs. Les détails varient d’une région à l’autre – dans certains endroits, cela signifierait que votre esprit est tiré de votre corps, dans d’autres elle vous demande de tenir son bébé. Les explications varient aussi : pour certains elle est l’esprit de la neige, pour d’autres le fantôme d’une femme qui a péri dans la neige, ou même comme une princesse de la lune expulsée du monde du ciel. Yuki-onna apparaît à nouveau dans Kwaidan de Hearn, où elle rend visite à deux bûcherons pris dans une tempête de neige, tuant l’aîné en lui soufflant sur le visage, et promettant de tuer le plus jeune s’il raconte ce qui s’est passé (ce qu’il fait plusieurs années après).

On trouve encore Kami-kiri (« le coupeur de cheveux » – 髪切) est un yokai connu pour s’approcher des gens et leur couper les cheveux. Le phénomène de la mystérieuse coupe des cheveux est apparu dans de nombreuses légendes urbaines, en particulier à l’époque Edo. Parfois, la hache était attribuée à un « vent de démon », mais souvent à une créature qui faisait la coupe, comme le kamikiri-mushi (un « insecte coupeur de cheveux », probablement en référence à la mante religieuse, avec ses membres avant en forme de faux, et nommé kamakiri en japonais, au son très similaire). Dans le Bakemono zukushi, il apparaît avec un visage d’oiseau et une énorme pince à la main brandissant la récolte coupée.

Un rouleau merveilleux, qui permet de rentrer dans le monde fantastique et intriguant des yokai.

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